Elle avait besoin de souffler. Sans doute. Peut-être. Tu ne peux que hausser les épaules face à sa réplique. « Un mois ? » Vraiment ? Seulement ? Tu avais l’impression que ça faisait déjà au moins dix ans. Tu avais l’impression que l’enfant était avec toi depuis une éternité. (Quelque part, tu pouvais sans doute remarquer qu’elle grandissait jour après jour, si tu regardais la quantité de photos de Haena sur ton téléphone.) « J’ai l’impression de l’avoir récupérée hier, certains jours et d’autres … que ça fait des années. » ris-tu doucement. « Mais elle a deux mois ! » Même si ton petit monstre te rendait la vie parfois un peu difficile, tu avais appris à l’adorer.

Jian Tao comprenait pourquoi tes amis t’avaient organisé ce dîner. Pourquoi ? Tu hausses un sourcil, sans vraiment capter ce que tes potes avaient derrière la tête. Est-ce que c’était de juste te changer les idées ? (Ou simplement se moquer un peu de toi ?)
Tu n’en avais aucune idée, mais tu ne peux qu’acquiescer vivement lorsqu’il te propose de remettre ça. « Carrément ! » t’écries-tu presque, tout en affichant un grand sourire. « Mais c’est vrai qu’un resto plus … classique pourrait être intéressant aussi. » pouffes-tu doucement. Certes, tu appréciais ses capacités vocales, mais tu aimais aussi ne pas trop te prendre la tête pour commander quoi que ce soit. « Juste … Pas Mac Do. Par pitié. » Ou tout autre genre de resto qui te donnait l’impression d’ingurgiter un morceau qui n’avait de viande que le nom et où on te servait quelqu’un chose de clairement non identifié et qui empestait l’huile de mauvaise qualité.

Qu’est-ce que tu aimais faire avant d’avoir ta fille ? « Mmmmmh. » Tu te sens obligé de réfléchir. Est-ce qu’il y avait des choses que tu n’appréciais plus depuis que tu l’avais ? Est-ce que tes goûts avaient tant changé, juste parce que tu arborais désormais l’étiquette de la paternité ? « J’aimais bien sortir. » commences-tu, prudent. « Enfin, je pense que j’aime toujours ? Mais c’est vrai que c’est pas très … enfin, je suppose que les lendemains de cuite avec un gamin, c’est pas terrible. » C’était même, sans aucun doute, l’enfer. Haena se fichait que ton crâne soit sur le point d’imploser et que ton corps soit incapable de faire quoi que ce soit. (Elle avait besoin que tu t’occupes d’elle, parce que loin d’être totalement autonome pour l’instant.)
Est-ce que tu lui en voulais ?
Pas vraiment.
Au fond, c’était sans doute plus appréciable d’avoir les idées claires – modulo les heures de sommeil qu’il te manquait. « Les grasses mat’, c’était sympa aussi … » Un rire léger secoue tes épaules. (C’était mieux que d’en pleurer.) « Mais sinon, mh … Les voitures ? J’allais parfois à des rassemblements et tout avant. » Monde à part que tu semblais, quelque part, avoir quitté. Tu hausses les épaules. Ça t’ennuyait un peu, d’une certaine manière, mais tu pouvais encore regarder quelques émissions liées à la télé. « Et … le shopping ? » conclues-tu, avec un petit sourire. Tu n’en avais pas vraiment honte, même si l’activité pouvait être considérée comme féminine. (Loin de toi l’idée d’attribuer des genres à toute sorte de passe-temps.) « Mais pour le coup, avec Haena … J’avoue que je peux laisser libre cours à ma créativité. » Tu savais que l’enfant n’était pas une poupée, mais tu essayais de faire en sorte qu’elle ne ressemble pas à une petite patate mal fagotée – bien qu’elle soit adorable – lorsque vous sortiez. Même si tu avais réalisé que les fringues pour gamins coûtaient un rein. Tu avais fini par écumer quelques sites de seconde main, pour trouver de quoi vêtir ton bambin. « Et toi ? Quand tu n’es pas en train de jouer devant les caméras, tu fais quoi ? » demandes-tu, tout en terminant ton plat.

Je suis enfant unique et je n’ai pas d’enfant dans mon entourage. Je ne compte pas non plus en avoir. Alors forcément le sujet m’intrigue bien que je n’y connaisse absolument rien. Seo Jin m’apprend que sa fille a deux mois. Elle est toute petite ! D’ailleurs même si j’essaie de ne pas juger sa mère, je me demande comment on peut laisser une enfant si jeune. Enfin, en pensant ça, je ne remets pas du tout en cause les capacités et les compétences de père de Seo Jin.
« S’occuper d’un bébé si petit, ne doit pas être de tout repos. »
Même si je ne connais pas bien le sujet, je ne suis pas non plus complètement inculte. J’ai entendu dire que les nuits étaient difficiles à cet âge-là. Alors je comprends d’autant plus que ce rendez-vous puisse être une bulle d’oxygène loin des couches et des biberons.

Quand j’évoque une autre sortie qu’on pourrait faire, je ne peux pas m’empêcher de rire quand il me demande de ne pas organiser ça dans un Mac Do.
« Ne t’en fait pas. Je ne peux pas me permettre de fréquenter des endroits où il y a trop de monde. Je commence à être connu en Corée et si je veux être tranquille, il vaut mieux que je sorte dans des cadres plus intimistes mais je nous trouverais un truc bien qui te changera les idées. »
Parce que le fréquenter va m’aider à rester dans le réel. Quand on est acteur et qu’on a du succès, on finit par ne fréquenter que le même milieu et j’aimerais me faire des amis qui me changent du quotidien, comme Seo Jin qui a une réalité très différente de la mienne. Je le questionne d’ailleurs sur sa vie d’avant, acquiesçant d’un mouvement de la tête aux informations qu’il me donne avant de répondre à sa question :
« J’aime faire la fête. D’ailleurs je suis DJ à mes heures perdu. Je te proposerais bien de venir me voir jouer mais je ne sais pas si ton emploi du temps de papa te le permettrait. En revanche, j’aime découvrir de nouvelles activités. Plus j’en apprends, plus il m’est facile de jouer toute sorte de rôle. Alors j’aime autant les sorties culturelles que le shopping ou encore les divertissements d’intérieur ou d’extérieur. Bref, quand c’est nouveau, je ne dis jamais non. Finalement, il n’y a qu’une chose qui semble exclus pour des raisons évidentes liées à mon travail, c’est avoir une vie amoureuse. »
Mais j’imagine que c’est également son cas. A moins qu’il n’envisage de se mettre avec la mère de sa fille ? Leur bébé est un accident et elle semble avoir disparu du paysage, mais qui sait ?

Est-ce que s’occuper d’un bébé aussi petit était de tout repos ? Absolument pas, en effet. Le repos semblait être une notion qui était définitivement disparue de ton quotidien. Pourtant, est-ce que tu avais seulement le choix ? Tu hausses les épaules, sans trop savoir quoi répondre. Au fond, Haena était là, et tu ne semblais pas décidé à l’abandonner une seconde fois.

Pourtant, tu avais tout de même besoin de te changer, de temps en temps, les idées. (Essayer de retrouver un semblant de vie comme avant.) Peut-être que tout ne serait point possible, mais tu pouvais déjà te contenter d’un peu. Toutefois, tu émettais quelques réserves sur le type de nourriture qu’il déciderait de vous faire ingurgiter lors de votre prochaine sortie. Jian Tao te rassure presque immédiatement : il ne pouvait se permettre de fréquenter des endroits où il y avait trop de monde, compte tenu de sa grandissante popularité. « Je te fais confiance pour dénicher un truc cool et bon, alors ! » La malbouffe n’ayant jamais été ta grande passion, tu acceptais totalement qu’il te traine dans un endroit plus intimiste.

Le jeune acteur te questionne sur ta vie d’avant Haena. Tu réfléchis un peu, finis par lui donner tes quelques passe-temps. Ceux d’avant. Certains étaient plus simples à garder, même maintenant, mais dans l’ensemble, tu avais tout de même été obligé de revoir un peu ton mode de vie.
Tout comme toi, Tao aimait faire la fête. DJ à ses heures perdues, il t’aurait bien proposé de venir le voir jouer, mais peut-être que ton emploi du temps rendrait les choses un peu compliquées. « Si tu veux mixer pour sa boom d’anniversaire, on peut toujours s’arranger. » ris-tu, amusé. Après, tu pouvais toujours faire garder Haena. En soit, tu avais tout de même quelques options, mais avais-tu encore l’énergie de te coucher à pas d’heures après avoir festoyé toute la nuit ?
Malgré tout, Jian Tao aimait découvrir de nouvelles activités. Pour jouer différents rôles, il appréciait de faire de nouvelles découvertes. Tu hoches la tête, doucement : ça se comprenait.
Le seul truc qui n’était pas possible, pour des raisons évidentes, c’était d’avoir une vie amoureuse. Tu hausses un sourcil, sans vraiment comprendre pourquoi est-ce que c’était évident. « Parce que t’es souvent en tournage, ou parce que tu n’as pas le droit de par ton contrat ? » demandes-tu. Que ce soit l’une ou l’autre des raisons, tu ne les trouvais pas vraiment valable, au fond. « En soit, le but, c’est pas de réussir à le cacher plus longtemps que les autres ? » En soit, il pouvait bien aimer qui il voulait, tu n’en avais un peu rien à faire. Clairement, tu avais d’autres occupations que d’aller brûler des affiches à son effigie parce qu’il avait un.e petit.e ami.e. « ‘fin t’es humain, non ? Tu pourras pas forcément contrer le destin. » avances-tu, avec un léger haussement d’épaules. Il pouvait tomber amoureux. Rien ne l’obligeait à s’écouter, cela dit. Comme toi avec Sun. Comme toi avec le cœur du blondinet sur lequel tu avais sauté à pied joint, parce que tu t’estimais trop naze pour mériter quelqu’un comme lui. « M’enfin … Après, t’es pas obligé d’écouter, tu m’diras. » murmures-tu, tout en terminant doucement ton plat.

Dans un sens c’est une lourde responsabilité que Seo Jin me confie mais je saurais me montrer à la hauteur en nous dénichant des endroits discrets, abordables et délicieux. D’ailleurs l’idée d’avoir un compagnon de table me plait beaucoup. Lui et moi menons des vies très différentes mais c’est ce qui rend nos conversations intéressantes. Et puis qui sait ? Peut-être qu’un jour je serais amené à jouer un père célibataire. Si ça venait à arriver, je prendrais forcément modèle sur lui.

Après avoir convenu de déjeuner ou de diner à nouveau ensemble, nous échangeons sur nos passe-temps. Je lui apprends qu’il m’arrive d’être DJ et lorsqu’il me propose de mixer aux booms de sa fille, j’éclate de rire :
« Elle est un peu jeune pour organiser des booms, mais quand ça arrivera, je serais ravi de le faire. Si ça se trouve à ce moment-là, je ne serais plus vraiment dans coup et je serais bien content de me reconvertir dans l’animation d’anniversaire. »
Je ris mais j’espère quand même mener une belle et longue carrière. Pour le moment c’est bien partie et j’espère que ça continuera encore longtemps.

Seo Jin rebondit sur mes paroles lorsque j’évoque mon impossibilité à avoir une vie amoureuse. Ses hypothèses sont très justes et pas forcément très éloignées de la vérité.
« En fait, c’est plus compliqué que ça. Rien ne m’oblige à être célibataire. Je n’ai pas de contrat dans ce sens mais mon agent m’a expliqué que si je m’affichais avec quelqu’un, je perdrais en popularité et je risquais d’avoir moins de proposition de rôle. J’ai déjà trente et un ans. Je suis connu en Chine mais je ne suis pas encore très populaire en Corée. Si je veux percer, je dois laisser de côté ma vie amoureuse. Ça ne veut pas dire que je ne peux pas avoir de relation. Je dois veiller à être discret. Alors pour le moment, je me contente d’aventures. »
Je me montre très franc avec lui. Je doute qu’il aille vendre les informations que je lui confie, à un journaliste. Je ne lui parle pas non plus de Cheng car c’est un peu compliqué entre nous et que je ne saurais pas quoi en dire.
« Et toi ? Le fais d’avoir un bébé, ça ne doit pas te faciliter la vie pour avoir une vie amoureuse, non ? Tu envisages de te mettre avec la mère ou pas du tout ? Mais tu as peut-être déjà quelqu’un ? »
Il n’y a aucun jugement derrière ma question. Juste de la curiosité. De mon côté, je me suis livré sans détoure et j’espère qu’il le fera à son tour, même si je ne l’y obligerais pas.

Tu ris doucement lorsque Jian Tao accepte de mixer pour les booms de Haena. Ce ne serait pas pour demain, certes, mais tu appréciais qu’il ne refuse pas sans même le considérer. Est-ce qu’il ne serait plus dans le coup d’ici là ? « Allons, faut pas dire ça ! Si ça se trouve, tu seras ultra populaire. » Le Steve Aoki de demain. Un David Guetta du futur. Qui sait ?

Peut-être, cela dit, qu’il aurait une famille. Un amoureux ou une amoureuse, qui sait ? C’était compliqué. Rien ne l’obligeait à être célibataire. D’un point de vue contractuel, en tout cas. Ce qui risquait d’en pâtir, c’était surtout sa réputation. Tu hoches la tête, comprenant ce qu’il voulait dire. « C’est nul. » déclares-tu, sans même hésiter trois secondes à ce que tu devais dire. « Tout ça pour pas blesser des égos de gamines … ou de vieilles et vieux coincés. » C’était surtout ça, au fond. C’était des vieilles coutumes, que tu aurais bien balancé par la fenêtre si tu en avais la possibilité. « Tu devrais avoir le droit de t’afficher avec qui tu aimes, sérieux. Ça devrait pas altérer ta capacité d’acteur, sauf preuve du contraire. » Tu n'avais jamais compris. Tu n’avais jamais pigé pourquoi est-ce qu’il fallait toujours se la jouer puritain. « Les plus offusqués, c’est souvent les pires, en plus. » marmonnes-tu pour toi-même.
Et si tu avais été dans son cas ? Sans doute que tu finirais dans la moitié de ces pseudos scandales. Sans doute qu’on brûlerait quelques-unes de tes affiches, juste parce que tu aurais osé embrasser à pleine bouche ton ou ta bien-aimé.e de l’instant. Avec cette possibilité, probablement que personne n’aurait osé t’engager. « En vrai, tu fais comme tu veux. Mais faut pas qu’ils t’empêchent d’être heureux, hein. » Pas avec leurs principes à la con, surtout.

Et toi ? Parce que tu parles, au fond, mais ta vie amoureuse à toi, elle était dans quelle état ? Est-ce que tu comptais te mettre avec Sae Ra ? Plutôt crever. « Naah … » énonces-tu, doucement. « Pour tout le monde, je crois que ce serait pas une bonne chose qu’on se mette ensemble. ‘fin, en dehors du lit, j’ai pas souvenir qu’on ait fait autre chose que de s’engueuler. » confesses-tu. C’était sans doute un peu problématique pour élever une gamine, non ? « Puis depuis qu’elle m’a refilé la petite … » Est-ce que tu imaginais vivre sous le même toit qu’elle, juste pour cette raison ? Tu secoues la tête : vous finiriez sans doute par vous entretuer. « Mais sinon … Non, j’ai personne pour le moment. J’ai pas eu trop le temps de m’en soucier, de toute façon. » lâches-tu, tentant de prendre un air détaché. Qu’est-ce que tu devais faire de Sun ? Pourquoi est-ce que tu ne pouvais t’empêcher de laisser tes pensées vagabonder à son égard ? Pourquoi est-ce que ça te serrait le cœur, d’y penser ? « ‘fin bon, avec la petite, j’imagine que ça va en freiner plus d’un. » Tu pouvais le comprendre. Tu pouvais l’envisager – au fond, est-ce que tu n’avais pas coupé les ponts avec Sun pour cette raison ? Parce que tu avais peur que tes conneries ne le détournent d’un avenir auquel il te semblait prédestiné ? Parce que tu avais peur de croiser dans son regard une once de déception ? « Ils savent pas ce qu’ils ratent, hein ! C’est un petit monstre quand elle s’y met, ok, mais franchement, le reste du temps … » C’était envisageable. C’était clairement supportable.

Seo Jin a raison et il résume assez bien la chose en disant que c’est nul. Oui ça l’est. C’est également injuste. En tant qu’acteur, on devrait être jugé pour nos prestations devant la caméra, pas pour notre vie privée malheureusement, ça fait parti d’un tout. Je ne dois pas seulement faire rêver les gens à l’écran, je dois aussi le faire dans ma vie personnelle en étant irréprochable, pour ménager les égaux de mes fans qui aiment s’imaginer à mes côtés. Enfin, je me plains mais les contraintes sont quand même bien moins difficiles à vivre que celles imposées aux idoles.
« Je te rassure, j’arrive à être heureux même sans relation amoureuse officielle. Ça ne m’empêche pas de vivre et de profiter de la vie. »
C’est peut-être même la meilleure excuse pour pouvoir papillonner et ne pas s’engager avec qui que ce soit. Sans parler que j’ai Cheng et que je ne sais pas encore ce que je veux vraiment avec lui. Chassant mon meilleur ami et nouvellement amant de mon esprit, je questionne Seo Jin sur sa vie amoureuse. Arrive-t-il à se projeter ? Va-t-il se mettre avec la mère de sa fille ? Ce n’est pas prévu et avec une enfant en bas âge c’est compliqué d’avoir quelqu’un. C’est encore trop tôt, ce que je comprends parfaitement.
« Tu sais, il parait que les pères célibataires ont la côte. C’est peut-être encore trop tôt parce qu’elle est toute petite, mais elle va forcément t’attirer quelqu’un, surtout si sa mère n’est pas présente. »
A moins que ça ne soit qu’un mythe mais j’imagine que Seo Jin me le dira lorsqu’on se reverra parce que je ne doute pas qu’il y ait une suite à ce diner. D’ailleurs j’ai terminé mon plat. Il était bien meilleur que je ne l’aurais cru.
« On se prend un dessert ? »
Ce qui veut dire chanter à nouveau mais puisqu’on a compris le concept, ça ne devrait pas être bien compliqué pour commander.

Jian Tao parvenait à être heureux, même sans relation amoureuse officielle. Tu hoches doucement la tête : c’était déjà ça. S’il n’était pas obligé de trop se priver. De ton côté, tu n’en aurais certainement jamais été capable, ne sachant vraiment comment ainsi te maîtriser.
Est-ce que tu étais prêt, pour autant, à te lancer dans une nouvelle aventure amoureuse ? Est-ce que tu devais passer à autre chose, après Sun ? Est-ce que Haena allait finir par t’attirer quelqu’un ? « Mouais, c’est pas que j’ai des doutes la concernant, mais moi … » Il fallait quand même réussir à te supporter. Il fallait quand même réussir à tenir le coup à tes côtés. Est-ce que la vue de Haena suffirait à les motiver ? Est-ce qu’ils ne rataient pas quelque chose, au fond ? (Est-ce que ce n’était pas l’enfer que de vivre à tes côtés lorsque tu te faisais démon ?) « Enfin bon. En attendant, je vais faire avec ce que j’ai, je suppose. »

Vous semblez avoir, tous les deux, terminés vos plats. L’acteur vous propose alors de prendre un dessert : tu hoches la tête avec conviction, plutôt enclin à cette idée. « Vendu pour le dessert ! » t’exclames-tu. Tu ne craignais pas du tout de chanter une nouvelle fois – même si ça devait en devenir ridicule.
Un serveur s’approche alors, pour vous donner la carte des desserts et vous débarrasser de vos assiettes.
Après avoir parcouru le menu, tu optes pour une part de vie en rose, sans savoir vraiment savoir ce que cela signifiait. La chanson avait été reprise bien des fois, et tu voyais bien une petite référence à Edith Piaf dans tout ça. Est-ce que tu allais pour autant réussir à rendre hommage à la musique ? Tu n’en étais vraiment certain, mais tu espérais que le serveur serait clément avec toi. Tu ne tardes d’ailleurs à le héler, pour vous donner l’opportunité de commander. « Tu as trouvé ce qui te tente ? » demandes-tu. « Je crois que perso .. La chanson va être un petit défi, mais je vais tout donner. » plaisantes-tu, un léger sourire sur les lèvres, avant d’appeler le serveur après avoir eu sa confirmation. Tu laisses Tao demander ce qui lui faisait plaisir, avant de t’élancer, pour chantonner cette fameuse vie en rose. Ton accent français n’est pas des meilleurs, loin de là, mais tu tentais, au mieux de t’appliquer – remerciant au passage les heures passées à brailler au karaoké.

Il ne semble pas convaincu quand je lui assure que les papas célibataires ont la côte et que son bébé pourrait sans doute l’aider à faire de nouvelle rencontre. J’avoue que dit comme ça, ça ressemble à un scénario de comédie romantique, mais je suis sûr que c’est quelque chose qui pourrait arriver mais ça, seul le temps nous le dira et avec un peu de chance, nous serons toujours en contact, occupé à faire le tour des adresses sympas de la région.

Nos plats étant terminés, il est temps de passer au dessert. Seo Jin est le premier à trouver ce qui le tente et de mon côté, j’hésite un instant avant de lui répondre :
« Je prendrais un Sweet Emotion, mais je ne suis pas certain de réussir à le chanter sur l’air de la chanson d’Aerosmith. »
Heureusement la qualité du dessert ne dépend pas de ma performance et si je ne me trompe pas, ce que je vais commander s’apparente à une sorte de pain perdu accompagné de fruit rouge et de sucre glace. De toute façon je serais rapidement fixé lorsqu’on nous apportera nos commandes.

Nous interpelons un serveur et je suis le premier à me lancer. Ce n’est pas facile mais heureusement je ne suis pas trop mauvais en anglais. Quant à Seo Jin, je dois dire qu’il m’impressionne. Le français n’est pas une langue facile et dès que nous nous retrouvons seul, je me permets de l’applaudir.
« Il faut absolument qu’on se fasse un karaoké ensemble. Je veux que tu chantes à nouveau en français pour moi et tu vois, ça, je suis sûr que ça fait craquer les filles. »
Il faut dire qu’il a un petit accent tout à fait charmant.
« Est-ce que tu parles aussi français ou tu ne t’y essaies qu’en chanson ? Mais surtout est-ce que tu as d’autres talents cachés ? »
J’avoue que je suis curieux d’en apprendre plus sur lui. Après tout, avant ce diner, nous étions de parfait inconnu et nous avons encore beaucoup à apprendre sur l’autre, même si restera encore de nombreuse chose à découvrir après ce premier rendez-vous.

Il n’était pas certain de réussir à chanter sur l’air d’Aerosmith. Un rire éclate doucement du bord de tes lèvres. « Mais si, tu peux y arriver ! » l’encourages-tu, certain qu’il en était amplement capable. Après tout, tu l’avais souligné depuis le début : sa voix n’était pas désagréable. Après avoir interpellé un serveur, Jian Tao se lance le premier. La performance est suffisamment correcte pour que sa demande de dessert soit acceptée. Pendant un instant, tu avais même hésité à pousser la chansonnette avec lui, ne serait-ce que pour former un véritable duo. (Toi, Seo Jin, tu hésites ?) Peut-être que tu ne voulais simplement pas lui voler son instant de gloire. Tu préfères patienter tranquillement, avant d’entamer la vie en rose. Tu y mets du tien, essaies de ton mieux pour ne pas massacrer la chanson. (Tu tentes de tout donner, comme tu lui avais soufflé.)

Tu ris lorsque Jian Tao t’applaudit, plutôt fier de ton petit effet. « Oh, chut, chut. » feins-tu, en agitant les mains. Tu t’amuses pourtant, plutôt satisfait que la chanson lui ait plu. « C’est vrai que les filles aiment bien .. » souffles-tu, avec un clin d’œil. Il n’y avait pas que les filles, d’ailleurs. Combien de fois est-ce que tu t’étais servi de ta voix pour draguer ? (Trop, sans doute, ou suffisamment assez pour que tes potes décident de t’arranger un rendez-vous dans un lieu comme celui-ci.) « Mais je suis chaud pour un karaoké, quand tu veux. » En français, en coréen, en anglais. Tu voulais bien lui chanter tout ce qui lui plaisait.
Pour autant, est-ce que tu parlais la langue ? « Ah .. Non. Juste en chanson. » confesses-tu pourtant. « Je comprends rien de ce que je chante quand c’est pas en coréen. » ajoutes-tu dans un rire. Tu avais tout de même quelques notions d’anglais, mais tu n’étais clairement pas loin d’exceller autant que Myung Soo. « Mon frangin a pris tout ce que mes parents avaient à donner côté cerveau, il a pas pensé que j’arrivais après. » plaisantes-tu doucement. « J’lui en veux pas, il l’utilise bien. » Tu continues dans ta bêtise. Est-ce que tu en avais honte ? Pas vraiment. Plus tant. Ça dépendait de la situation. Au fond, tu savais que tu n’étais pas toujours le couteau le plus aiguisé du tiroir, certains te considèrerait même comme un peu émoussé, mais tu avais appris à vivre avec. « Mais .. Je pense pas avoir d’autres talents cachés, non. » ajoutes-tu en riant. (C’était surtout que tu n’étais pas certain de vraiment voir où se trouvaient tes qualités.) « Mais toi, pour être acteur, tu dois en avoir au moins quelques-unes, non ? » demandes-tu, avant que vos desserts n’arrivent en face de vous. « Bon app ! » énonces-tu, avant d’attraper tes couverts. « Tu voudras goûter ? » demandes-tu tout de même, au cas-où qu’il soit tenté.

Seo Jin m’impressionne. Le français n’est pas une langue facile et même s’il ne le parle pas, il le chante vraiment bien. Je suis impressionné et je suis également content qu’il accepte ma proposition de nous faire un karaoké. Entre ça et les restaurants qu’il nous faut découvrir, nous avons de quoi remplir notre agenda jusqu’à la fin de l’année et ce n’est pas plus mal. Ma relation avec Cheng étant un peu compliquée en ce moment, je ne suis pas contre passer du temps avec un nouvel ami, surtout s’il n’a rien à voir avec le milieu du cinéma.
« Je ne sais pas si on peut parler de talent caché. En fait, mon plus grand talent est certainement d’apprendre vite. Ce qui est pratique pour un acteur car je dois apprendre à chaque fois de nouvelle chose pour mes rôles. »
Je sais chanter mais je n’ai pas non plus une voix extraordinaire. Je sais danser mais je ne suis pas non plus le meilleur danseur qui soit. Bref, je sais faire beaucoup de chose mais je n’excelle pas forcément dans un domaine en particulier. Seo Jin n’a pas non plus de talent caché alors, j’imagine que ça nous fait un autre point commun ? A moins qu’on ne finisse par se découvrir mutuellement des surprises ?

On nous apporte nos desserts et lorsqu’il me propose de goûter son dessert, je lui réponds :
« A condition que tu goûtes le mien. »
Je lui pique une cuillère du sien, avant de lui tendre mon assiette pour qu’il en fasse autant. A nous voir si complice, qui croirait qu’on vient tout juste de se rencontrer ?
« Au fait, tu parlais de ton frère tout à l’heure. Vous vous entendez bien ? Qu’est-ce qu’il fait dans la vie ? D’ailleurs vous n’êtes que deux ? »
La famille, c’est un sujet que nous n’avons pas encore évoqué, même s’il m’a déjà parlé de sa fille et de son ex, ou plus exactement la mère de sa fille.

Son talent était certainement d’apprendre vite. Quelque part, tu l’admirais, juste pour ça. « Tu m’étonnes que ça doit être pratique ! » t’exclames-tu. « Perso, je mets tellement de temps avant de retenir un truc … Je crois que c’est plutôt un .. anti-talent, chez moi. » lui confesses-tu en riant. Est-ce que tu le regrettais ? Pas tellement : tu avais appris avec. (Cependant, nul doute que ça t’avait porté bien des fois préjudice, tout du long de ta courte existence.)

Les desserts arrivent alors devant vous. Tu proposes à Jian Tao de goûter le tien. Le garçon accepte, à une condition : que tu testes aussi le sien. « Vendu ! » répliques-tu, n’hésitant pas une seconde devant ce genre de proposition. Tu pousses ton assiette vers lui pour qu’il puisse se servir, avant de faire de même. Tu attrapes un peu de son dessert du bout de ta cuillère : du pain perdu avec quelques fruits rouges, dont tu te délectes. « Ohlala. » souffles-tu, en glissant une main devant ta bouche. « C’est grave bon. Ça a un petit côté feuilleté et tout, c’est une tuerie. » souffles-tu. Il avait sans doute opté pour le meilleur dessert de la carte. Quant au tien ? Après avoir testé, il te convenait tout autant. « Le reste du repas était bon, mais .. les desserts le sont encore plus ? » constates-tu à voix haute. Est-ce qu’il s’agissait-là de leur spécialité ?

Jian Tao te pose alors quelques questions sur ton frère aîné. Tu hoches doucement la tête à ses questions. « Oui, on s’entend plutôt bien ! Bon, il me traite régulièrement d’idiot, de crétin, et j’arrive à le faire soupirer environ douze fois par jour, mais … je l’aime bien. Et je pense que lui aussi ? » énonces-tu avec un grand sourire. Est-ce qu’il t’aurait accueilli sans même hésiter, sinon ? Est-ce qu’il te laisserait squatter son appartement, s’il te détestait ? « Mais il est avocat. Il a toujours géré à l’école, puis j’ai l’impression que ça lui plait bien quand même, alors .. Je suis content pour lui. » Tu marques une légère pause, avant de te reprendre : « Mais on n’est que deux dans la fratrie, oui. » Tu imaginais que tes parents n'avaient pas été assez fous au point de prendre le risque de concevoir un deuxième gamin à ton image. Si tu avais été aussi sage que Myung Soo, peut-être que vous ne seriez pas que les deux, mais en te voyant, visiblement, tes parents avaient préféré s’arrêter. « Il est adorable mais … Il tombe que sur des cons qui se foutent de lui alors … Il est encore libre comme l’air. » énonces-tu, guettant une éventuelle réaction.
« Et toi ? Tu as des frères et sœurs ? » demandes-tu, curieux, toutefois conscient qu’en Chine, les mœurs n’étaient pas exactement les mêmes qu’ici.

Les desserts ont l’air délicieux. Alors forcément, on se les fait goûter comme on a pu le faire avec le reste, comme si nous étions intimes et surtout comme si nous étions des amis de dix ans. Il y a des gens comme ça, avec qui le courant passe immédiatement. Des gens qui vous font vous sentir bien et à l’aise alors que vous venez à peine de les rencontrer. Avec Seo Jin, c’est le cas et je suis content que nos amis nous aient piégés. Ils pensaient peut-être nous mettre en couple mais à défaut d’avoir eu le coup de foudre, nous avons eu un beau coup de cœur d’amitié si je peux dire ça comme ça. En tout cas, c’est ce que je pense et ressens à son sujet.
« Tu as raison. Leurs desserts sont à tomber. C’est rare de trouver des restaurants qui assurent jusqu’au bout. En général les entrées et plats sont excellents mais les desserts sont parfois trop basiques ou décevants. »
Par chance, ce n’est pas le cas ce soir alors on peut dire que nos amis ont bien choisi même si l’endroit est plus qu’original.

Je le questionne ensuite sur son frère et il m’apprend qu’il est avocat. Il me parle de leur relation et j’esquisse un sourire, un peu envieux. Je suis enfant unique et finalement lorsque j’étais enfant, je n’avais que Cheng. C’est peut-être ce qui explique qu’on soit si complices, parfois trop fusionnel selon les dires de ma mère qui aimerait qu’on apprenne à mettre un peu de distance entre nous, surtout à nos âges. Mon dieu… si elle savait ce qui s’est passé entre nous dernièrement…
« Ton frère aime les hommes ? Pas que ça me gêne mais tu as parler de ses ex au masculin alors ça me rend curieux. »
Je serais bien mal placé pour dire quoi que ce soit puisque je suis moi-même bisexuel et possiblement amoureux de mon meilleur ami.
« De mon côté je suis enfant unique. Ce n’était pas toujours drôle mais enfant, j’avais un meilleur ami avec qui j’ai grandi et dont je suis resté très proches. D’ailleurs j’habite en ce moment avec lui. C’était plus simple pour moi quand j’ai décidé de m’installer en Corée. »