Installé, détendu, il rejette la proposition du serveur qui vient le trouver une première fois. Il attend une demoiselle, il ne commandera qu’à son arrivée. Galant homme, Wu bien éduqué, il est important de se montrer courtois avec celle qui partagera sa vie… dans les termes.
Etrange, peu familier de ce Wu là, qu’on se rassure l’homme, quand il s’ennuie, est juste très con. Voilà trop longtemps qu’il n’a pas mis de Xanax dans la vie de sa mamounette. Il s’endort à Gwangju, il se laisse aller à une vie éclesiastique - pas tellement - inspiré par un aîné sous le toit duquel il vit.
Mais voilà, il s’est souvenu. Un matin, en se brossant les dents, ça l’a frappé. Dans sa tête, ça a calculé, et ça s’est rendu compte que la date de ce petit repas approche à grands pas.
Il s’entend encore demander à son frère en criant depuis la salle de bain « C’est pas le week-end prochain qu’on va chez nos bien aimés parents ? » … et si, dans exactement 7 jours, il lui faudrait se rendre à Séoul. L’invitation était doublée, peut-être un coup de son frère, il n’en savait rien… et la musique des enfers s’enclenche dans sa tête. Sans doute un truc genre l’exorciste.

Il ne peut pas venir les mains vides, ça ne lui ressemble pas… alors il réfléchit… ramener un cadeau empoisonné à sa maman d’amour, il l’a déjà trop fait.
Trop classique. Peu original.
Et alors qu’il se dit que son grand frère ramènera probablement sa dulcinée, ça le frappe. Pourquoi lui aussi ne peut-il pas se marier ? Voler la vedette au fils prodige en ramenant une promise…
…
la pire de doute.
Voilà comment, il termine sur une application de rencontre à chercher un profil sympathique. L’inspiration du moment lui fait chercher la bonne cassos. Celle qui respire le secret inavouable qu’elle balance sur la table en cinq minutes de conversation. Il aimerait bien du tatouage aussi, et pourquoi pas un peu de piercing. Le mieux ce serait un profil type actrice porno, les tatouages en prime et un petit côté : à Noël, je préfère la coke aux ferrerro.

Alors ce jour-là, en ce dimanche saint, il porte beaucoup d’espoir en lui.
Le profil lui a plu. Et s’il ne sait pas encore s’il préfère la jouer directement ouvertement démoniaque ou non, il sait déjà que sa famille la détestera à 100 mètres de distance, même sans lunettes.
C'est donc avec des certitudes qu'il ouvre un livre en attendant la demoiselle à qui il compte bien poser la question finale d'une vie de romances. Et pourtant, sa promise, il pourrait lever les yeux des pages maintenant, il ne la reconnaîtrait même pas alors qu'elle passe l'entrée.
Le Monde va mal. Le monde est rempli de mensonges.

Respire. Et elle prit sa troisième inspiration en moins d’une minute.
Suah connaissait bien ce café : elle y avait déjà consommé et étudié. Pourtant, aujourd’hui, c’était comme si elle était incapable d’en franchir la porte. Le coeur palpitant, la gorge sèche… Elle songeait qu’elle pouvait encore faire demi-tour, qu’après tout, ça ne changerait rien qu’elle y aille ou non.
Ce n’était pas comme si elle avait véritablement l’intention de le rencontrer.

Dehors, les klaxons ponctuaient sa profonde réflexion.
Quelques jours plus tôt, elle avait eu cette notification. Un match. Pour ce qu’elle faisait sur ces applications de rencontres, on pouvait légitimement se demander pourquoi elle n’avait pas encore désinstallé ces bêtises. Si Suah devait y répondre franchement, elle avouerait peut-être qu’il s’agissait là d’une curiosité un peu malsaine, d’un jeu toxique qui ne faisait du bien à personne et certainement pas à elle. Même si elle avait changé plusieurs fois d’application, aucune n’avait le privilège de stocker en mémoire sa trombine. Jamais Suah n’avait osé. Toujours, elle avait triché.
Bien sûr, c’était bête. Bien sûr, ça ne rimait à rien. Mentir sur sa photo de profil ne mènerait jamais à une vraie relation, ni même à une première rencontre saine. Elle se sabotait avant même d’essayer. Mais dans l’esprit malade de la jeune fille de bonne famille, il y avait aussi la certitude que, jamais, ô grand jamais, personne ne likerait sa photo s’il s’agissait de sa véritable tête. Ou alors, parce que le maquillage serait particulièrement bien réussi, elle aurait quelques matchs, mais la rencontre ne serait qu’une suite de désillusions. Et voir la déception dans le regard d’un garçon avec lequel elle aurait eu le folle espoir d’envisager quelque chose…. C’était au-dessus de ses forces. Une phobie comme disent les jeunes d’aujourd’hui.
Quelques jours plus tôt, donc, son téléphone avait vibré. Vous avez un match ! annonçait l’application. En déverrouillant son mobile, elle avait découvert le pauvre garçon qui s’était fait avoir et…. Peut-être que son cœur avait raté un battement. Il arrivait qu’elle-même, en dépit de sa piètre estime de soi, trouvât que ses prétendants n’étaient pas des princes charmants…. Celui-ci était canon. Vraiment canon. Et quand elle zieuta sa propre photo, elle manqua de tomber de sa chaise de bureau.
Pour une obscure raison, elle avait emprunté l’identité d’une jeune fille au look…. particulier. Discutable selon certains. Tatouage outranciers, jusque sur le visage, piercing dans des zones où elle-même ignorait qu’on pouvait être percé… Et Suah en avait rajouté. Trafiquant la photo, elle avait créé une identité nouvelle et encore plus singulière à cette fille qui n’avait rien demandé. Pourquoi ? Elle n’était pas trop sûre. Elle faisait parfois des choses qui n’avaient pas vraiment de sens. Une expérience sociale peut-être… pour savoir qui cliquerait sur ce genre de profil ? La nauséabonde assurance que si quelqu’un pouvait s’intéresser à ce genre de fille, alors peut-être qu’elle aussi pourrait plaire…?
Elle s’était détestée aussitôt après avoir formulé cette pensée. Pour autant, elle en avait oublié de changer sa photo et voilà qu’un mec, beaucoup trop beau pour ne pas sortir d’un webtoon, venait de lui envoyer un message. Elle avait paniqué, avait envisagé d’ignorer… mais la curiosité l’avait piqué une première fois et elle avait répondu. L’échange n’avait pas été très long. Assez direct. Le garçon voulait qu’ils se rencontrent.
Hum. Probablement qu’il voulait s’amuser et peut-être qu’une fille ayant ce genre de look n’inspirait pas la vertue. Il était peut-être beau, mais il était un homme. Déçue ? Elle songea que si elle était un peu plus jolie et qu’elle avait plus d’assurance, sans doute aurait-elle donné sa chance à ce type. C’était purement superficiel, elle s’en rendait compte… mais si elle en avait la possibilité et le courage, il y a bien longtemps qu’elle ne se cacherait plus derrière un écran.
Et puis, une autre idée lui traversa l’esprit… Le garçon était si direct que c’en était peut-être louche… si beau qu’il cachait peut-être quelque chose….
Et si, lui aussi, mentait sur son profil ?
A nouveau, la curiosité la dévora. Elle accepta puis poussa un cri comme si elle venait de se brûler. L’idiote. Elle allait encore faire poirauter un mec…
… Mais puisqu’il ne connaissait pas son visage, elle pouvait bien s’y rendre et vérifier si sa théorie était juste ?
Elle était libre dimanche, elle connaissait l’adresse, elle n’aurait pas l’air louche.

… Si ce n’est qu’elle était planté devant le café depuis cinq trop longues minutes. Le temps d’être en retard au rendez-vous.
Respire et entre ! s’ordonna-t-elle. Et comme si une entité en avait eu marre de la voir plantée là, elle sentit qu’on la poussa à l’intérieur. Un tintement annonça son entrée, on la salua et, raide comme un balai, alla trouver une place. Le café n’était pas très grand, aussi, elle eut rapidement balayé la salle…. et pour la seconde fois, son coeur effectua un salto.
Il était là. A une table d’elle, le garçon était assis et semblait attendre. Il était aussi beau que sur son profil. Non ! Il était encore plus beau !!
Panique. Suah sentit l’excitation et la terreur l’envahir. Elle pouvait filer… mais son cul avait à peine touché le siège…
Respire et calme toi ! De son sac - cuir et pastel - elle tira un grand journal. C’était l’accessoire parfait d’un détective en filature. Et elle était sous couverture ! Suah déploya le journal face à elle sans en lire le moindre article. Elle tira son téléphone et retrouva le profil du garçon… Il n’y avait rien de louche à première vue et… celui qu’elle observa derrière le papier avait l’air normal…. si ce n’est anormalement attirant.
Elle s’en voulait de le faire attendre. Mais il était hors de question qu’elle se dévoile. Il allait la juger, lui rire au nez… Bon sang, mais qu’est-ce qu’elle foutait là !?

Elle sursauta quand un serveur lui demanda ce qu’elle souhaitait boire. « Euh… un chaï latte… s’il vous plait. » Sa voix n’avait rien de naturelle… Mais elle fit mine de replonger dans sa lecture factice, tout en sortant son carnet pour crier ses pensées sur le papier. Tant pis. L’univers avait décidé qu’elle resterait ici pour voir ce pauvre garçon languir d’une fille qui n’existait pas. Et quand il partirait et bien… elle retournerait à sa pauvre misérable vie…

Une page se tourne.
Puis une nouvelle. Et bientôt, il se rend compte qu’il a terminé toute une section.
C’est le point final qui lui fait relever les yeux, parcourir la salle, puis jeter un coup à l’heure qu’affiche l’écran de son téléphone.
Etrange. Une première pour lui il dirait.
Lui a t’on déjà posé un lapin ?
Dans l’univers de la “romance”, il ne croit pas. Soit sa fierté occulte un souvenir fâcheux, soit il est réellement aussi beau que sa mère - la vraie - le prétend. Et étant donné que cette dernière a déjà dépassé largement tout le pourcentage conneries de sa vie en couchant avec son père, il a tendance à la croire.
Du coup pourquoi ?
C’est la question qui traverse son esprit au lieu de le laisser se concentrer sur le livre de psychologie qu’il potasse ces derniers temps.
Quand il y pense, c’est vrai qu’il n’a pas vraiment fait la conversation plus que ça. Mais ça plait parfois non ? Entretenir un brin de mystère et se montrer audacieux en proposant une rencontre dans un lieu bien public.
…
Quelque chose cloche…

Et là, au milieu de cette réflexion, il se laisse interrompre par une sensation étrange. Le genre qui vous picote la nuque et finit par lui faire relever les yeux pour parcourir une fois de plus la salle… puis deux, tandis qu’un retour lui parait nécessaire pour lui confirmer un doute… oui, il a bien croisé un regard au premier aller, et il vient de le faire… trop rapidement pour que ce ne soit pas étrange.
Oh, il veut bien admettre qu’il puisse déclencher de la timidité… mais là, tandis qu’il retourne à sa lecture, il se dit que la demoiselle coupable est bizarre… sans doute parce qu’il lui a trouvé un air coupable.
Il le confirme un instant en relevant les yeux de son bouquin… puis il y retourne en méditant.

Qui aujourd’hui, de leur génération, lit encore le journal sur un bout de papier ?
… c’est vrai… curieux… alors son regard se lève à nouveau et il lui semble qu’il n’est même pas de la première fraîcheur.
Hum.
Elle est bizarre, ok, et alors ?
Elle est jolie. Mignonne, mais pas que.
C’est dommage, parce qu’il est déjà pris, sur le point de se marier même. Elle choisit mal son jour pour tomber sous son charme.
Trop confiant ? Peut-être. Mais puisqu’il ne voit aucune raison autre que celle-ci pour être pris en filature… sauf peut-être son sombre passé :

« Excusez-moi, je vais commander finalement. Je vais vous prendre un cappuccino. Vous pourriez le servir à la table là-bas ? Merci. » … et voilà comment, quelques minutes plus tard, il commande après avoir refermé son bouquin. Puis il se lève, abandonne sa place, et tire la chaise face à la demoiselle pour s’asseoir sans trop lui demander son avis « Bonjour. » ok… rien, il ne dit rien. Il attend que sa boisson arrive parce que c’est un sadique et que faire stresser les gens… c’est vrai, c’est son délire. A chacun son truc comme on dit.

Le cappuccino arrive, il en prend une gorgée, repose son gobelet… puis il la regarde à nouveau pour ajouter « Vous savez, j’ai un rendez-vous, ça va être gênant pour moi si vous me dévisagez comme ça pendant qu’on fait connaissance. C’est que la demoiselle me plait beaucoup et j’aimerais bien faire bonne impression. Je n’ai pas très envie de passer pour un coureur. » la bonne blague !
Elle ne vient même pas ta camée !
« Ou essayez au moins de le faire avec un peu plus de discrétion. » alors quoi ? On te pose un lapin du coup tu vas rendre mal à l’aise une jolie fille pour prendre ta revanche sur la gente féminine ?
Disons plutôt que quand un démon s’ennuie, il occupe son temps à des activités démoniaques. Logique.

Que lisait-il ?
Depuis sa place, Suah distinguait tout juste le titre si sobrement écrit. La couverture, tout aussi austère, lui semblait pourtant familière… Elle tendit le cou, par-dessus son journal usé, plissant les yeux afin de pouvoir élucider ce premier mystère et…
Diantre !
Leurs regards se croisèrent et la détective amatrice crut bien y perdre son organe vital. La palpitant dans la gorge, elle demeura figée de longues minutes derrière son journal, fidèle refuge qui la rendait assurément invisible. Idiote qu’elle était…
Suah s’efforça de contrôler sa respiration, priant pour qu’elle ne soit pas détectée… Elle rejeta un coup d'œil plus bref puis plongea son nez dans son carnet pour noter ses observations. A première vue, il avait l’air normal. Rien n’indiquait chez lui un comportement problématique - ironique quand elle était celle qui le stalkait… - et elle avait pu déchiffrer le titre de son livre. De la psycho ! Ce détail méritait son attention car ne disait-on pas que les gens qui voulaient devenir psy avaient eux-même beaucoup de soucis dans leur tête ?
….. N’était-elle pas en étude de psychologie elle-même….?
Si. Et c’était des clichés bien sûr ! Qui avait des soucis dans sa tête ? Certainement pas elle ! … Bref. Il lui sembla même déjà avoir lu ce bouquin pour la fac et songea que c’était une drôle de coïncidence. Elle nota ensuite l’hypothèse suivante : si ce garçon était étudiant en psychologie et qu’il avait choisi de matcher avec elle - ou plutôt sa fausse elle - pour étudier son cas qui, d’apparence, pouvait avoir de l’intérêt ?
C’était farfelu. Mais pas improbable. Elle machouilla la pointe de son stylo, pensive… Selon les plus grands détectives, il fallait sortir des sentiers de la pensée commune !

La voix de sa cible la sortit de sa réflexion. Il commandait. Petit coup d’oeil depuis sa planque…. Il faisait livrer son cappuccino à… la table derrière elle ?
Elle se tourna. Il n’y avait personne derrière elle. Mais alors, il devait loucher parce qu’il n’y avait aucune chance que ce soit à sa table qu’il livre ce café et…. POURQUOI SE LEVAIT-IL MAINTENANT ?
OH MY …. ! … IL VIENT PAR LA ?!
Les yeux écarquillés, Suah se trouva prise au piège comme un lapin qu’on chasse. La seule solution qu’elle voyait, était de se faxer sous la table avant qu’il n’arrive. Impossible et ridicule. La seconde suivante, le garçon était assis face à elle et Suah ne respirait plus. Elle n’osa pas bouger, ni baisser son journal. Un instant, elle se dit que si elle restait parfaitement immobile derrière son papier, peut-être partirait-il ou la prendrait-il pour une sculpture.
… C’est qu’elle avait vraiment le cerveau qui cramait vite sous la panique……
Bonjour.
« Irk…! » Et voilà qu’elle s’étouffait avec de l’air. Toussant bêtement, recroquevillée derrière son journal, elle pria le ciel de disparaître. De toute évidence, il fallait encore qu’elle s’améliore en filature…

Comme elle n’était toujours pas morte ou téléportée dans une autre dimension, elle renonça à faire comme s’il n’existait pas et abaissa un tout petit peu sa gazette, ne laissant dépasser que ses yeux. « .... Bonjour…? » La politesse pour commencer. Puis le cappuccino et son chaï latte qui arrivèrent dans la foulée. Elle remercia le serveur d’un timide signe de tête et reporta son attention sur son vis-à-vis. L’air le plus naturel possible. A moitié cachée par un journal à l’envers.
Elle voulut lui demander si elle pouvait l’aider parce qu’elle ne voyait pas du tout pourquoi il s’incrustait à sa table mais il parla en premier. Et elle eut envie de mourir une seconde fois. Cette fois, elle était a peu près sûre que son coeur avait sauté hors de bouche et courait à travers les rues de Gwang-ju. Se défendre, nier, bien sûr qu’elle y pensa… Mais les premiers mots qui sortirent bien trop spontanément de sa bouche furent les suivants : « Elle vous plait vraiment ?! » Et le silence fut.
Idiote. Abrutie. Petite écervelée.
Elle attaqua si fort sa lèvre inférieure qu’elle sentit un peu de sang imbiber le bout de sa langue. Elle était cramée. Archi cramée. Fronçant le nez, elle essaya d’avoir l’air normale mais c’était déjà bien ratée : « ... Vous vous trompez… je vous regardais pas… Enfin, je vous ai aperçu mais… je faisais pas… ce que vous croyez que je fais… » Etait-il possible de se suicider en avalant très vite l’entièreté d’un chaï latte ? Ce serait une mort peu glorieuse mais elle n’avait vraiment plus rien à perdre à ce stade. « ...... ce journal est passionnant….. »

Niveau discrétion, on est sur un niveau d’approximativement 3 sur 100. C’est peut-être un peu durement noté, mais pour une jeune femme qui se planque derrière un journal qu’elle lit à l’envers et relatant presque l’occupation japonaise et qui semble prendre des notes ou autre planquée… il se trouve assez généreux.
Et il ne manque pas assez de curiosité pour venir l’assassiner en squattant sa table, il admet. Il a toujours manqué de clémence, un truc rapport avec son signe ou autre… plus probablement avec son sang de démon. Il n’en n’est pas peu fier. Pire que tout, il n’éprouve pas moins ce sentiment à la voir avoir un genre d’avc ou autre…
Quoi ? Il ne fait pas médecine, il ne sait pas trop comment qualifier ce genre de… disons crise ?
Allez va pour crise. Son frère fait de l’asthme, et pour être franc, ça n’y ressemble pas vraiment.


Bref, ils se sont salués, et il n’a pas plus le coeur à la préserver. Il s’attend à de la gêne, des joues qui rougissent ce genre de trucs… mais certainement pas à ça ?
L’incompréhension passe sur ses traits, il fronce même un instant ses bien nobles sourcils… puis il réfléchit, il additionne dans sa tête, et elle devient carrément sa suspecte numéro un.
Il ne dit rien pourtant le démon. Il la dévisage, mais il reste silencieux sur sa glissade et il la laisse se débattre avec le reste en jouant les débiles.
Le journal est passionnant bien sûr, et elle ne le matait pas du tout… même pas un peu.

« Oui ? J’ai dû fantasmer alors. » évidemment.
Il prend quelques gorgées de sa boisson, puis il la regarde et lui sourit « Je suis confus, je dois avoir l’air bête. »
A quoi il joue ?
Excellente question.
Le sourire est toujours là quand il ressort son téléphone et ouvre cette application de rencontre. Directement, il clique sur le profil de sa promise et le fait glisser sur la table. En flic, il pratique vraisemblablement des techniques directes lui « Elle vous ressemble pas tellement. » oui c’est étrange… et pourtant : “elle vous plait vraiment ?!”
« Mais vous avez l’air de savoir que j’attends et presque qui, c’est bizarre non ? » sur la table, il refait glisser son téléphone et le garde un instant dans sa main sans rien ajouter « C’est vous non ? » il sait, autant ne pas mentir.

Mais pourquoi ?
Elle est vraiment très jolie. C’est bizarre non ? Normalement, sur une app de rencontre, on fait plutôt l’inverse. Le mystère s’épaissit de son côté aussi… et la curiosité le chatouille au point de presque hésiter à moins la torturer.
Mais non, c’est trop amusant. Autrement…
« Au fait… » …pourquoi lui prendre son journal pour le remettre à l’endroit ? « Je ne sais pas si on lit à l'envers chez vous, mais le coréen en tout cas, c’est dans ce sens là. »

Fantasmer. C’était franchement un bien drôle de mot à employer. Aujourd’hui particulièrement. Il faisait chaud pour un mois de janvier, non ?
Le café semblait trop silencieux. Tout était oppressant. Mais particulièrement la bêtise de Kang Suah. C’était bien parce qu’elle était le genre à “fantasmer” qu’elle s’était retrouvée dans cette situation. Trop curieuse, trop imprudente… et clairement pas assez discrète. Elle avait déjà aperçu des garçons au loin à qui elle avait posé un lapin…. Mais jamais des aussi canons ! Et c’était bien là sa faute, aujourd’hui.
Wu Jin était un homme trop beau pour son bien et le fonctionnement de son cerveau. Et voilà qu’elle s’enfonçait, nageant vainement dans les méandres de sa connerie… Elle avait conscience qu’elle avait merdé…. Elle s’était au moins retenue de répondre “pas autant que moi” quand le garçon disait se sentir bête.
Etonnamment, elle n’y croyait pas du tout. Elle savait qu’il savait et elle savait qu’il savait qu’elle savait qu’il savait. Il n’y avait vraiment qu’une seule issue à cette conversation : fuir. Désinstaller les applications de rencontres. Aller chouiner chez Saena. Et peut-être envisager de déménager. En Island, avec les Vikings. Bref. Elle divaguait encore.
Et lui, était toujours en face d’elle. Elle, toujours à moitié dissimulée par son journal, elle l’observait par intermitence, bien incapable de le fixer trop longtemps ou croiser son regard. Elle sentait déjà que ses joues étaient roses et qu’elle avait chaud…. et la crise cardiaque la guettait. Pourquoi ne passait-il pas à autre chose ? Si seulement la fille qu’il attendait pouvait se pointer…. Wait. Et pourquoi fallait-il qu’il sourit comme ça ?
Elle mâchonnait encore sa lèvre. Dire quelque chose d’intelligent… si elle n’était pas si intimidée…. Il aurait mieux valu pourtant qu’elle prenne la parole en premier… car la suite signait sa fin.

Du regard, elle suivit ses gestes. Ce téléphone et cette icône qu’elle reconnut de loin. Puis, un profil qui se glisse vers elle. Naturellement, elle eut un léger mouvement de recul, comme si elle refusait de regarder les preuves accablantes de son crime. « .... » Elle avait le droit de garder le silence. Tout ce qu’elle dirait pourrait être retenu contre elle devant un juge. Sauf si elle mourrait avant. Mais dieu qu’elle était longue la mort.
Elle n’avait pas besoin de regarder l’écran pour savoir de quoi le policier le garçon parlait. Mais elle le fit… histoire de ne pas avouer tout de suite qu’elle était coupable. Si on oubliait son teint qui oscillait entre le pâle et l’écarlate. « .... Je vois pas de quoi vous parlez…. » C’était exactement ce que dirait quelqu’un qui savait parfaitement de quoi on parlait !
La réponse se lut très clairement quand l’accusation fut plus directe. Les pupilles et les narines dilatée, elle lança un regard choqué, paniqué et scandalisé à celui qui la pointait du doigt : « ... Moi ?? Comment ça ?? Pas du tout !! » Note à soi-même : prendre des cours de théâtre. Elle s’éclaircit la gorge. « ... Vous voyez bien qu’on se ressemble absolument pas et de toute façon ça serait vraiment bizarre de se faire passer pour quelqu’un d’autre sur une appli de rencontre et ensuite venir à un rendez-vous sans dire qui on est ! » Suah…. Vraiment…. lève toi et cours, comme ne dirait pas Jésus.

Elle tenta de se cacher un peu mieux derrière son journal…. mais celui-ci lui échappa des mains et elle poussa un couinement ridicule comme si, soudainement, on venait de lui enlever ses vêtements. De retour dans ses mains, elle le plaqua presque contre son visage, bien trop gênée à l’idée qu’il ait pu mieux la regarder sans protection.
Car de toute évidence, si la fille aux piercing était son genre, il ne pourrait que la trouver laide à côté.
Et bête. Ou illettrée. « .... » Est-ce qu’il était encore tant de prétendre qu’elle ne parlait pas coréen….? « .... » L’humiliation était implacable. Elle leva un regard misérable vers lui… puis abandonna. Elle lâcha le journal et laissa tomber son front contre la table. Elle était à ça d’éclater en sanglots parce qu’après tout, pourquoi pas ? Au point où elle en était. Soit, faire le mort. Elle resta de longues secondes inerte et espéra qu’au moment elle relèverait la tête, il ne serait plus là et, mieux encore, il n’avait jamais existé. Néanmoins, aucun bruit ne lui indiqua qu’il était parti et elle sentait toujours son regard sur elle. C’était la pire journée de sa vie. « .... Pourquoi vous êtes encore là…? » demanda-t-elle d’une voix étouffée contre la table. « .... vous avez bien compris que la fille de vos rêves ne viendrait pas… » Elle leva un doigt, désignant à l’aveugle son cappuccino. « .... Je paierais votre consommation…… pour me faire pardonner de vous avoir fait déplacer pour rien... »

Elle ne voit pas de quoi il parle, et pourtant…
Les criminelles… on en trouve vraiment de toutes les catégories maintenant…
« Moi je crois que si. » sourire confiant, sourire malin. La question subsiste pourtant. Pourquoi alors qu’elle est plus jolie ?
Vague espoir de se dire que finalement elle consomme peut-être un truc ou deux. Disons qu’elle n’a pas l’air très “normal”... faut bien l’avouer néanmoins, il se fait clairement arnaquer. Son plan était parfait et voilà qu’on se joue de lui pour mettre à mal son génie démoniaque. Coup dur pour l’équipe Satanas. C’est le jeu, on ne peut pas gagner à tous les coups « Oui, vous ne vous ressemblez pas du tout. Et c’est bien là le problème. Pour une raison qui m’échappe encore, vous vous êtes joué de moi. » de toute évidence, oui. S’il l’avait connu un peu mieux, il se serait permis un petit élémentaire. Là, il se contente de la dévisager en silence, les questions en tête, les suppositions qui ne font pas de logique en prime.

La réflexion ne l’empêche pas de porter le coup de grâce et de voir son résultat.
Tuer en public n’est certes pas très prudent, mais follement amusant d’enfreindre le règlement… oui, on connaît.
Le démon attend, il la laisse épouser la table. Elle lui a peut-être menti, mais au moins elle est divertissante. Reste à voir de quoi elle lui est redevable
« Parce qu’on a rendez-vous et que vous me dévoriez clairement des yeux. » il repose son verre sur la table, range son téléphone dans la poche puis secoue la tête
« Non, c’est insuffisant en dédommagements. Vous m’avez menti, je suis blessé, j’exige une réparation plus correcte. » est-ce qu’il veut la faire flipper ? Est-ce qu’il veut qu’elle termine par appeler la police ?

Pour être franc, il ne sait pas ce qu’il veut. Mais son rendez-vous est annulé, il doit désormais composer autrement.
Est-ce qu’elle a un défaut ou deux d’exploitable ?
De toute évidence, il l’intéresse.
Est-ce qu’elle ferait une bonne actrice ?
…
…
Une semaine, c’est trop juste pour la former sur les planches.
Une semaine, c’est aussi trop juste pour recruter. Il pourrait chercher dans le premier lieu public venu ceci dit, il a quelques adresses. On se démerde comme on peut quand on veut, et pourtant… il ne semble pas décidé à arrêter de perdre son temps dans ses démoniaques projets.

Trop rapidement, il abandonne les formalités d’usage « Tu veux manger quelque chose ? Je t’invite. » déjà de la main, il appelle le serveur et commande pour sa part un cheesecake, laissant le loisir à l’inconnue de faire sa commande. Il attend que l’homme reparte, fait tourner son gobelet sur la table, puis ajoute enfin ce qui le turlupine « Pourquoi avoir mis une fausse photo de profil ? T’es plus jolie en vrai, la logique m’échappe. » la drogue Jin… ça vous bousille les neurones, tu devrais le savoir mieux que personne.
Elle épouse une table de gêne, il est clair qu’elle n’a pas toute sa tête.
…
Ok, il y a peut-être un vague potentiel. Un peu problématique à l’ère d’aujourd’hui, mais pourquoi pas ?
Toutefois, ramener quelqu’un dont le cerveau ne tourne pas droit, ça vaut moins qu’une cassos camée…
A voir… à défaut d’avoir le plan parfait, il pourrait au moins rester marrant.

Connaissait-on des cas où une table avait avalé une personne ? Elle se demandait combien de temps cela pourrait-il prendre pour qu’elle fusionne avec la surface en plastique. Malheureusement, trop longtemps, de toute évidence.
Au moins, la table était fraiche. Parce que son front, lui, était brûlant. Peut-être pouvait-elle encore prétexter que la fièvre l’avait rendu folle. Mais cela semblait peine perdue… Des explications, des vraies, elle n’était même pas capable de lui en fournir. Au mieux, elle pouvait encore se jeter à terre et lui implorer le pardon, puis fuir loin, très loin….
Ses raisons, il ne les comprendrait pas. Elle-même n’était pas sûre de se comprendre. Et il avait beau être étudiant en psycho, elle n’était pas sûre qu’il soit ravi qu’elle tourne ce premier date raté en séance de psy. Pourtant, d’une thérapie, Suah en avait très certainement besoin. Mais pas maintenant. Pas avec lui.
Parce qu’en terme de douceur, faudrait songer à lui dire d’y aller mollo avec ses futurs patients. Il était peut-être observateur mais il était surtout assassin.
Le dévorer des yeux ?
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Elle eut envie de se fracasser le crâne contre la table. A la place, elle se crispa et rabattit le journal sur sa tête pour mieux disparaître.  « A-Absolument pas !! » Elle aurait sans doute hurlé si la table n’étouffait pas ses mots. Il ignorait pourquoi mais elle pensa à son frère et se dit que jamais, ô grand jamais, il devrait apprendre sa mésaventure. Elle l’entendait rire d’ici, à gorge déployée. Est-ce qu’on pouvait se jeter du haut de la montagne de Gwang-ju ?

Payer la consommation ne suffirait pas à faire déguerpir le sexy démon. Elle était prise à son propre piège et pire, voilà qu’elle était confrontée aux conséquences directes de sa bêtise… Soit blesser quelqu’un !
Piteuse, elle redressa légèrement la tête. On apercevait à peine son visage sous le journal… ce qui n’était pas une mauvaise chose car elle ne voyait pas tout à fait celui du garçon non plus. Tant mieux car il la troublait bien trop !  « ... Je suis vraiment désolée… Je n’avais pas l’intention de vous blesser… c’était stupide…. » A part lui offrir son café et lui promettre de ne plus jamais croiser sa route, elle ne voyait quoi faire pour réparer son affront. Mais il avait le droit d’être en colère… et elle se sentait si bête…
Elle finit par se redresser, sans gloire, se débarrassant du journal qui l’avait trahie. Elle devrait trouver un autre accessoire plus discret…. ou simplement laisser tomber les filatures. Le regard fixé sur la table, la marque de la table sur le front, elle remit vainement ses cheveux en place. Elle se sentait exposée et vulnérable… mais elle avait déjà touché le fond du ridicule alors à quoi bon soigner son image. C’était foutu avec lui.

« Je... » Elle allait lui proposer de commander ce qu’il voulait ici, dans un premier temps, et qu’ensuite, elle pouvait aller retirer de l’argent pour le dédommager du temps perdu… Mais le garçon la prit de court en l’invitant à manger. Le tout en abandonnant le dialecte formel. Les yeux ronds, Suah le dévisagea, confuse. Sa familiarité le rendait plus doux, et pourtant, elle se sentit une nouvelle fois intimidée.
C’était certainement la première fois qu’elle menait une discussion aussi longue avec un garçon qui lui plaisait - parce qu’il faudrait être aveugle pour dire le contraire ! Auparavant, on évitait de lui parler et, à présent, c’était elle qui limitait ce genre d'interaction qui la terrifiait. Elle avait peu d’amis du genre opposé - et peu d’amis tout court en réalité - et toute ambiguïté était inexistante pour la simple et bonne raison que la romance - et ce qui en découlait - n’existait, pour Suah, que dans les livres et dans ses fantasmes.
D’accord, il venait juste de la tutoyer et ça n’engageait à rien. Mais son esprit détraqué était en ébullition…
Un éclair de lucidité lui fit toutefois secouer la tête et elle bredouilla :  « M-Mais non, ce n’est pas… C’est à moi de vous… de t’inviter… ! Pour me faire pardonner… » Elle machouilla sa lèvre. Pouvait-elle être familière aussi…?  « J’ai compris que ça ne suffirait pas, mais…ça serait injuste que tu paies quoique ce soit… » A moins que ce fut une autre façon de la punir. De toute façon, elle déclinait la proposition. Elle avait le ventre trop serré pour avaler quoique ce soit et… elle ne se sentait pas à l’aise à l’idée de manger devant lui. Et, elle avait encore son chaï latte qu’elle n’avait pas touché.

La question évidente tomba. Mais la suite lui fit marquer une pause. Elle crut mal entendre. Il avait dit “jolie” ? Elle le fixa à nouveau, incertaine, comme s’il venait de dire une énormité. Il se moquait d’elle ? Elle analysa ses traits et elle ne sut pas quoi en penser. Ses pommettes rosirent mais elle se refusa de croire au compliment parce qu’elle ne pouvait décemment pas s’emballer… Pourtant, son coeur battait fort dans sa gorge.  « ... Tu portes des lunettes ? » Pardon ? Elle fronça les sourcils. Ses doigts pianotèrent nerveusement sur son carnet.  « Non parce que, tu es sûrement très poli, mais…. si cette fille sur la photo te plaisait vraiment bien, on a vraiment rien à voir elle et moi alors, je trouvais ça bizarre que tu dises ça mais… enfin, c’est rien… T’as pas besoin de … genre… prendre des gants avec moi… Je veux dire, je t’ai menti alors vraiment… c’est pas la peine d’être sympa… » Elle enfourna la paille de sa boisson dans sa bouche. Elle avait détestait chaque mot qu’elle venait de dire. Elle ne savait même pas pourquoi elle avait autant parlé.  « Je comprends tout à fait que tu sois déçu. » Une autre gorgée. Ca n’expliquait pas son geste. Suah se borna à regarder l’entrée du café. Pourquoi fallait-il qu’elle soit venue….?  « J’ai pas vraiment d’explications…. mais j’étais curieuse… de voir si tu allais venir et si tu étais vraiment aussi …. enfin… comme sur ta photo…. » Et là, le ridicule la frappa. Elle plaqua ses deux mains sur son visage pour se cacher :  « C’est la honte, je suis vraiment désolée… C’est ridicule et je sais pas quoi faire pour rattraper ma bêtise… »

On dit de certains qu’ils n’ont pas la lumière à tous les étages…
Côté de la demoiselle, il a l’impression que c’est un peu l’inverse.
Il y en a trop.
A tous les étages.
Trop d’étages aussi.
Disons que c’est carrément Versailles dans sa tête.
Quand lui c’est définitivement les enfers… pour hocher la tête avec cet air presque meurtri, faut que ça le soit.
Allez, elle ne l’a pas réellement blessé pourtant.
Qu’on se détrompe, il y a bien dommage. Elle gâche un repas de famille auquel il se faisait une joie d’assister.

Alors du coup, il l’invite à prendre une petite douceur en sa compagnie. Logique.
Qu’on en cherche pas ici, d’un côté, comme de l’autre, il n’y aucune forme de cet art loué par les plus grands savants.
« Je n’ai pas proposé. » oui, il a dit bien, je t’invite. Du coup, avec un air qui n’admet pas de négociations, il lui laisse le temps de commander quelque chose.
Personnellement, un peu de sucre ne lui fera pas de mal. Il voit toujours les choses sous un oeil nouveau ensuite. ça inspire, plus que les repas soi-disant bon pour les neurones que peuvent cuisiner certaines personnes.

« Oui, et ? » il a ses lentilles maintenant. Mais il ne le précise pas, pourtant il devine un peu où elle veut en venir « Précisément. » précisément quoi ?
Elle lui avait menti.
Et du coup.
« Tu m’as menti. Tu ne trouves pas ça un peu culotté de m’accuser de ton crime maintenant ? » est-ce qu’il se croit malin ?
Oh, il ne se croit pas malin.
Il sait qu’il l’est.
Il est loin d’être parfait, mais il a quelques qualités indéniables qu’il ne va pas se priver de mettre en avant.
D’un sourire, il ajoute néanmoins « En vérité, pour parler franchement, elle n’était pas si jolie que ça. Et pourtant, ça ne m’arrange pas vraiment tout ça. J’avais des projets avec cette personne. » tu veux l’embrouiller ?
Allons, elle s’embrouille toute seule. Non parce que son explication… même lui prend le temps de la réflexion. Excès de manque de confiance, réel coup de coeur sur lui, c’est flatteur.

« Ok, je marche. » tu marches ?
« Et toi ? » marcher pour quoi ?
« Mes projets. Tu sais, finalement j’me dit que je peux les revoir autrement. Avec un peu plus d'authenticité, moins de paillettes. On sait jamais. » c’est pas cool de troubler les demoiselles qui n’ont pas besoin d’aide pour ça. Mais la commande arrive, et il attend que le serveur reparte pour ne pas éclairer mieux.
« Je vais être franc avec toi, et n’oublions pas que je suis le seul à l’être ici, je pense que t’es un peu folle. » quelqu’un dira : ah. « Je crois que t’es le genre Calamity Jane à ruiner l’ordre de l’univers. Mais ça te rend mignonne. » et ça l’arrange surtout ?
Admettons
« J’ai une idée un peu folle et elle devrait te plaire. » non « Un genre de dédommagement qui pourrait solder ta dette. Ton ardoise serait effacée, et t’auras aucune raison de le regretter. Surtout si tu aimes t’amuser » … on n’est pas trop certain de l’amusement. Tout ça risque d’être horrible, mais de sa fourchette il fait tomber un bout de cheesecake dans son assiette avant de demander « C’est quoi ton nom ? »

Ah bon. Le garçon ne lui laissait pas le choix. Suah se raidit sur son siège. Ses joues piquaient et elle pinça les lèvres. C’était une drôle de sensation, comme si elle venait de se faire réprimander… Et c’était encore plus étrange de se sentir reprise sur ce ça après ce qu’elle venait de faire. Si elle n’osa pas le contredire, elle déclina d’une petite voix : « Je ne veux rien, merci... » C’était sans doute impoli de refuser, et elle s’en voulait un peu… mais elle n’était plus à ça près avec lui question bonne manière et, surtout, elle ne se sentait pas capable d’avaler quoique ce soit dans cette situation. Le stress d’être prise sur le fait… et de vieux complexes qui la bloquaient.

La suite ne fut pas moins lunaire. Presque rassuré d’apprendre qu’il avait des lunettes et qu’il ne devait donc pas bien la voir, elle hocha la tête et apporta son explication très peu claire. La réponse de son date pas date fut tout aussi opaque. Précisément ? Elle lui adressa un premier regard confus. « ...Pardon ? » Ensuite, son teint s’échauffa vivement et elle fixa de nouveau la table d’un air coupable. « Oh non, je ne voulais pas t’accuser, seulement…. comme j’ai dis…. j’étais curieuse… » Ca n’enlevait rien à son culot, ni à son crime comme il le disait. Elle planta ses canines dans sa lèvre inférieure. Elle savait qu’elle était ridicule et peut-être qu’elle méritait qu’il lui fasse la morale… mais elle se languissait de laisser loin cette histoire derrière elle. Nerveusement, elle triturait le coin de son carnet tandis qu’il reprenait la parole. Et le trouble s’intensifia. Elle releva, vers lui, un regard encore plus perdu. N’avait-il pas dit que cette fille lui plaisait ? Il disait son contraire à présent… Mais surtout, il parlait de “projets” ? Avec une fille qu’il ne trouvait pas si jolie ? « ... » La stupeur se lisait facilement sur les traits de la jeune fille. Quels genre de projets….?
Dans sa tête, tout se mit à mouliner très vite. Trop vite. Car il apparaissait comme évident que ce garçon n’était peut-être pas un futur psychologue mais plutôt un potentiel psychopathe. Car après tout, qui d’autres lirait un bouquin de psychologie et inviterait une fille qui ne lui plaisait pas pour un “projet” ?
Son coeur battit à tout rompre. C’était clair à présent. Elle avait vu et lu assez de documentaires et de livres sur la question pour savoir qu’il n’était pas rare que les tueurs en série étaient séduisants. Leur apparence agréable étaient leurs premières armes, baissant ainsi la vigilance de leurs victimes pour mieux les manipuler puis les assassiner.
Les yeux de Suah étaient à présent plus ronds que la normale. A tout moment, ils sortaient de leurs orbites. Si elle tirait délicatement son téléphone de son sac, elle pouvait peut-être écrire un message à Saena discrètement… lui dire d’appeler la police, par exemple.
Elle demeurait silencieuse, le cerveau en ébullition. Et lui… il marchait.
« ... hein ? » Elle aussi ?
Elle n’était plus sûre de rien. Elle cligna plusieurs fois des yeux en dévisageant son futur meurtrier. Elle qui voulait vivre une enquête…… ce n’était pas exactement comme ça qu’elle voyait la chose. Mais c’était le moment de se montrer maligne, de déjouer les plans du tueur qu’il lui dévoilait de façon obscure, et de résoudre l’enquête qui n’avait pas lieu !
Une pointe d’excitation la prit quand elle songea qu’elle tenait peut-être là le premier plot de son roman…

Interruption cheesecake. Devait-elle se lever, s’accrocher au bras du serveur pour lui implorer son aide…? Non. Elle était curieuse. Peut-être qu’elle serait une des nombreuses victimes qui se feraient avoir par son charme…. mais peut-être pas ! Focus, Suah, Focus !
Le garçon se mit à parler de franchise et, intéressée, Suah se pencha comme pour cueillir son secret…. pour apprendre qu’il la trouvait folle.
Ah. Bon. « ... » Nouveau battement de cils. Elle ne savait pas trop comment le prendre. Estimait-il qu’elle était donc une cible facile ? En même temps, elle avait vraiment fait un move bizarroïde et cette constatation était légitime de la part d’un esprit sain ou non. Calamity Jane, ordre de l’univers… qu’est-ce qu’il racontait ? Il était sûr que c’était elle qui était folle ?
… ou mignonne ?
jnsdmoisjdo. Heureusement qu’elle ne buvait pas, elle aurait fait des bulles. Elle s’en voulut de rougir parce que c’était forcément un compliment manipulateur. Certes, son maquillage devait bien faire le taff, mais elle savait qu’il était déçu et que sa première victime ne serait pas digne d’une Marylin Monroe.
Elle plissa les yeux, prenant un air énigmatique alors qu’il amorçait enfin sa proposition. Soyons honnête : elle n’avait absolument rien pigé. Il avait beaucoup parlé pour absolument rien dire et c’était frustrant ! Lui en faire la remarque serait toutefois culotté. Encore une fois. Aussi, Suah laissa planer le silence quelques secondes et prit une gorgée de son chaï Latte qui avait largement eu le temps de refroidir. L’arôme de cannelle faisait bien le taff. « ... Suah… » Elle omit son nom, au cas où. « Et toi, Jin… c’est bien ça ? » Mais c’était peut-être un pseudo. Un tueur ne déclinerait pas son identité. Sauf les maniaques et les narcissiques qui aiment revendiquer leur crime. Elle prit une profonde inspiration puis attaqua : « Est-ce que tes projets impliquent une cave ? » Donc, elle jouait franc jeu elle aussi…? Il n’oserait pas lui faire de mal en public ! « Tu sais, j’ai lu beaucoup de roman policier et j’ai vu toutes les saisons de “Faites entrer l’accusé” et d’après mon analyse, si je te dis oui, alors j’ai 50 à 80% de chance de finir ligotée dans ta voiture d’ici à ce soir, puis découpée en petits morceaux et 10% de chance que tu me serves en ragoût à tes invités. Au cas où, je préfère te prévenir, je suis à peu près sûre d’avoir un goût abominable alors n’essaie pas. » Vraiment… Suah …? « Tout ça pour dire que je n’ai pas pour projet de tenir le rôle de la victime. En fait, je vise plutôt celui de l’enquêtrice qui résout l’affaire en te pointant du doigt à la fin et en s'exclamant :”La vérité triomphe toujours !” Bref, ça ruinerait mes propres projets, tu comprends ? » Si avec ça, il n’avait pas quitté le café, ce type était pour de vrai un psychopathe. « Je veux bien écouter ta proposition, mais avant, me permets-tu d’envoyer un message pour signaler ma position à un proche ? On ne sait jamais… » Pas besoin de le prendre en photo, elle avait toujours son profil matché sur l’application…

Soyons honnête, il la perd, et il le sait. En même temps, la demoiselle est née sans sens dans l’orientation et la suite ne va en rien l’aider.
Pas si grave. A lui de se montrer persuasif. Des arguments, on en trouve toujours.
Pas dans le cheesecake, c’est tout.
A la mention d’une cave, et après avoir hoché la tête pour confirmer son prénom, il mange finalement le bout de cheesecake offert sans s’en formaliser. Elle n’est pas dans les classiques des rendez-vous… en même temps, il n’en doutait pas vraiment.
Il mâche, la laisse parler. C’est un peu connard, il sait. Mais regarder les gens se débattre, c’est un truc de démon… de psychopathe aussi mais ça, elle n’a sans doute pas entièrement tort la délirante.
Il avale, prend une autre bouchée, hoche la tête sans tout à fait montrer un signe de confirmation. Puis il boit un coup, et reprend une bouchée, un sourire sur les lèvres.
Parce que là au milieu du monologue de la jolie Suah, il se dit pas mal de trucs et aucun de ces trucs n’est ennuyant.

Premièrement - le con pense que ça fait bien 1 mois qu’il est là à l’écouter et qu’elle a un flot de paroles impressionnant. A ce stade, son frère ne va pas tarder à appeler la police pour disparition inquiétante et on verra bien qui est le plus suspect des deux.
Deuxièmement - elle n’est pas si mal Suah. Qu’elle se sniffe ou non de la farine. Il y pense. Il y réfléchit. Elle a un potentiel, un diamant brut à façonner un peu mais dans sa tête, lui aussi, il peut se faire quelques scénarios du dîner parfait avec sa famille.
Troisièmement - ce cheesecake oreo chocolat n’est définitivement pas mauvais.

« Wu Jin. » si jamais tu veux mon nom. Pour ta bouteille de détresse.
Et il reprend une bouchée, il mâche pendant qu’elle s’exécute.
C’est flatteur. Vraiment, elle le trouve séduisant et en plus crédible dans le rôle d’un dangereux psychopathe. Il avoue, c’est le quatrièmement le meilleur.
Sa fourchette se repose le temps d’une pause et il ajoute « J’te donnerais bien mon adresse avec mais étant donné que t’as pas l’air très nette non plus. J’suis prudent. Tu sais comment c’est dehors ? » elle le sait. Et à priori elle le sait grâce à “faites entrer l’accusé”.
Jin. Focus. On ne rit pas. On ne juge pas les gens.
Il se contient. Peut-être qu’il se mord un instant l’intérieur de la joue, mais il est tout à fait calme quand il reprend.

« Premièrement, j’fais rien dans les caves, c’est pas mon délire. » les toilettes, sa voiture, une ruelle si elle voulait… on s’égare non ? « Deuxièmement, tu verrais ce que mon frère cuisine, tu comprendrais que je suis quasi végétarien. » justement le manque, la frustration « Troisièmement, et avant que tu repartes dans une nouvelle théorie étrange. » il fouille dans sa poche, en sort un étui qu’il ouvre sur la table pour dévoiler une alliance… le genre qui fait grimper la valeur de votre doigt « Tu veux m’épouser ? » …
…
C’est direct.
…
Trop sans doute.
Mais avant de fournir plus d’explication, il prouve qu’il est lui le maître du suspens, et reprend quelques gorgées le sourire aux lèvres.
« Le temps d’un mois ou deux. Peut-être moins. C’est pour une expérience sociale. Pas vraiment en fait. Je peux te l’expliquer. En théorie je vais devoir. Mais peu importe la manière dont je vais te le présenter je vais passer pour un fou. Mais tu sais quoi Suah ? Je suis un fou moins pire que celui de la cave. Je vis pour l’amour du spectacle. Et tu viens tout juste de devenir ma nouvelle muse. »

Jin - puisqu’il confirmait que c’était bien son nom, en tout cas jusqu’à preuve du contraire - l’écouta sans l’interrompre ni nier les potentielles accusations. L’impassibilité sur ses traits avaient de quoi perturbé l’enquêtrice du dimanche. Il n’avait l’air ni étonné, ni scandalisé que Suah énonce ces risques - très sérieux au demeurant ! Sans un mot, il dégustait ce cheesecake dont l’arôme chocolat venait jusqu’aux narines de celle qui avait refusé de manger. Il est vrai, ça lui faisait un peu envie… Mais elle devait d’abord s’assurer qu’elle n’était pas en danger et puisqu’il avait l’air d’approuver sa demande, elle marqua la fin de son long discours en sortant son téléphone pour adresser le message suivant à sa meilleure amie :

Saena,
Je suis dans au Café Bonbon, 1078-6 Pungam-dong, Dong-gu, en compagnie d’un garçon beaucoup trop beau pour pas être louche. Il dit qu’il a des projets. Je ne sais pas dans quoi je m’embarque. Si je t’envoie pas un message d’ici ce soir, appelle la police.
Je t’aime.
Et au cas où, je te lègue ma dernière palette Etude House.

Le message envoyé, elle reposa son téléphone et fit glisser son regard sur le garçon d’un air solennel, comme si elle acceptait son destin. Tant pis s’il était dangereux, elle embrassait l’avenir pour satisfaire sa curiosité. Ou peut-être qu’elle se faisait clairement avoir….
Toute ouïe qu’elle était, les premiers mots lui firent arquer un sourcil. Wu Jin ? … Ou alors… Woo Jin…? C’était son prénom complet ? Jin était un surnom …? Ils se tutoyaient, certes, mais ils n’étaient sûrement pas assez proches pour qu’elle l’appelle par son surnom. Elle se mordit l’intérieur de la lèvre, hésitante. Peut-être qu’il l’avait reprise… Elle se sentit bête et le vent de confiance qui l’avait poussé à débiter autant la quitta lentement. Elle s’efforça de rester droite… Mais Wu Jin lui remit un coup. Elle ? Pas nette ? Sa bouche dessina une moue. « ... si j’suis très nette… » marmonna-t-elle. Ok, Baptiste. Ce constat la ramenait toutefois à une évidence contre laquelle elle essayait de lutter depuis des années : Kang Suah était et demeurait bizarre. Et si ce garçon, pourtant suspect n°1 de l’affaire, venait à lui dire ça, c’est qu’elle n’avait clairement pas résolu le problème. Elle réprima un soupire, dépitée, puis tenta de refaire bonne figure en acquiesçant : « ... oui, oui, je comprends… » Dehors, c’était la jungle, les gens louches, les psychopathes, les émissions de faits-divers. Bref.

Elle reprit une gorgée de sa boisson, laissant ses doigts courir sur le verre en attendant plus d'éclaircissements… Que Wu Jin sembla enfin daigner lui donner.
Premièrement, les caves, c’était pas son délire.
Ah. Elle lui adressa un regard aussi intrigué qu’intéressé. S’il ne faisait rien dans les caves, faisait-il des choses ailleurs ? Pourquoi uniquement discriminer les caves et ne pas clamer entièrement son innocence…? Elle nota mentalement ce point sans se douter que son enquête ne prenait absolument pas le bon chemin.
Deuxièmement, il avait un frère qui cuisinait et qui était porté sur la verdure. Elle plissa les yeux. En quoi cela constituait une preuve de non cannibalisme ? Après tout, elle était prête à parier que certains vegan préféraient dévorer de la chair humaine plutôt que la cuisse d’un petit poulet. Elle ouvrit la bouche pour contre argumenter mais, un troisièmement la fit renoncer et elle choisit de l’écouter en reprenant sa paille dans la bouche.
Erreur. Terrible erreur.

La question tombe un piano du septième étage. Fracassante et inattendue. Ah ça, pour ne pas s’y attendre. Elle n’a pas le temps de se convaincre qu’elle a mal entendu qu’elle avale de travers et s’étouffe. Une quinte de toux ridicule la secoue et elle se couche à moitié sur la table - peut-être dans l’espoir stupide de fusionner encore avec dans sa mort et disparaitre complètement.
Qu’est-ce qu’il a dit ?
L’épouser ?
Elle pourrait rire si elle n’était pas en train de mourir.
Elle respire, pense à Saena, lui fait ses adieux silencieux. Eunhyeok, lui, ne saura rien de tout ça.
Puis, sa toux s’arrête et ses yeux paniqués trouvent le coupable d’un meurtre qui était finalement bien prémédité. Il est là, calme avec son affreux sourire qui est toujours si abominablement séduisant. Et elle, elle est rouge, morte de honte, et même si elle se redresse pour retrouver un tout petit peu de dignité, elle n’est clairement pas indemne. La larme à l’oeil, elle s’apprête à exiger des explications ou un moins un peu plus de précisions… Mais Wu Jin - ou Woo Jin - reprend la parole comme un parfait maitre de cérémonie.

Elle n’eut pas l’air moins bête, ensuite. Elle le dévisagea, l’air ahuri, les yeux ronds, et la confusion embrouillant tous ses traits. Il disait des mots mais aucun ne semblait avoir de sens. Tout sonnait énigmatique et… fou. Oui. Il avait raison. Si bien que lorsqu’il eut terminé - en la nommant, sa “nouvelle muse” et brûlant ainsi le sommet de ses pommettes - elle demeura interdite de longues secondes. « .… » Elle repassait ses paroles dans sa tête mais elle ne comprenait rien. Son histoire de tueur en série lui apparaissait finalement comme bien plus simple à gérer….
Aussi, elle finit par arriver à la seule conclusion possible et, d’une petite voix qui trahissait son trouble, elle demanda : « ... Tu… plaisantes…? Est-ce que… tu es en train de te moquer de moi ? » Si elle n’avait jamais eu à vivre de grosses brimades à l’école, il était arrivé qu’elle entende les garçons plaisanter sur elle. Comme si sortir avec elle pouvait être un gage amusant. Elle sentit ses yeux picoter mais non plus parce qu’elle peinait à respirer mais parce qu’elle se sentait désemparée et humiliée. Suah se crispa un peu, maîtrisant au mieux son expression, bien qu’elle ne pouvait dissimuler complètement son trouble. « ... Non parce que…. je trouve toujours cette histoire de kidnapping beaucoup plus crédible que ta demande… »

Non, elle n’est pas nette, alors “très nette” encore moins. Même la créature la moins myope sur cette Terre la verrait flou. Ne minimisons pas. Le niveau est là, le talent somnole mais il peut être réveillé pour son show chez les Wu.
Il a envie d’y croire. Parce que s’il y a des tas de trucs en lesquels il ne croit pas sur cette Terre, on ne lui a jamais donné de raison de remettre en doute son talent pour les forces obscures. Dans un film, il serait un peu le grand méchant des grands méchants. Le boss final du jeu vidéo, ou celui juste avant qui donne encore plus de fil à retordre au joueur. C’est comme ça, il est né pour le rire démoniaque. Et aujourd’hui, il voit en Suah le potentiel d’un moment familial divertissant.
Ok, elle est jolie, mignonne et sa peau est vierge de tout tatouage, mais quand elle parle, il voit les paillettes.
Il y a un truc. Un truc qui le pousse à sortir un écrin. Parce qu’il fait les choses bien, il faut toujours faire les choses bien.

Raison pour laquelle il devient veuf avant le mariage ?
Est-ce des façons Wu Jin ? Provoquer la mort de sa femme par suffocation ?
« ça va aller ?   » futur mari soucieux du bien-être de sa femme, le ton semble pourtant trop calme pour quelqu’un qui regarde une autre personne qui manifeste sa fin de vie prochaine. Peut-être que s’il n’avait pas bu quelques gorgées de sa boisson ensuite, les choses auraient pu mieux sembler.
Mais il est probable que le petit con en lui s’amuse de la situation et de l’effet d’une surprise qu’elle classerait probablement sur le podium des choses les plus surprenantes qui lui soient arrivées dans sa vie.
Au moins, elle n’oubliera jamais son premier mari…

« Je ne me moque pas de toi. » il lève deux doigts, intercepte encore le serveur « On pourrait avoir un verre d’eau ? Ma copine a avalé de travers. » le type s'exécute, lui sourit en reprenant une bouchée de cheesecake « T’es sûr que tu ne veux toujours rien manger, leur cheesecake est vraiment délicieux. » … il y a un monde très proche où il vient de lui couper l’appétit.
Et dans ce monde là, à priori, on ne répond pas tout de suite aux interrogations qu’on déclenche.
Le verre d’eau est amené, le serveur repart à nouveau, puis il ajoute enfin « J’ai une bonne réputation, je préfère éviter le chemin du crime. »
…
…
Marrant ça…
« Mais si tu veux en savoir plus… » évidemment qu’elle le veut, alors cesse d’émietter ton cheesecake « Mon frère va bientôt se marier. Enfin bientôt…. » tout est relatif « … et j’avais bien envie de lui voler la vedette. » juste ça… « …et d’entraîner les coeurs de mes parents à résister aux avc… tu comprends, je les aime tellement. » il est étudiant à l’école du cirque au final ? « Disons que je te propose le rôle de ma fiancée au théâtre pour au moins le week-end prochain. » et en quel honneur ?
Le plaisir de sa compagnie ?
« C’est un premier rôle. Réfléchis bien. » comme elle aurait dû mieux réfléchir pour ce cheesecake dont il reprend une bouchée « Non je t’assure, tu rates, il est délicieux. Dans la vie, il faut savoir dire oui pour en profiter. » … t’es genre subtilement le cheesecake oreo chocolat maintenant ?
En quelque sorte.

Ca ne pouvait être qu’une blague. Pourtant, la bague brillait bien au milieu de la table. Si elle était fausse, elle était bien faite. Ou alors, c’était une caméra cachée. Tandis qu’elle tentait de se remettre, chassant les larmes de ses yeux en secouant une main pour signifier à son attentionné futur mari qu’elle allait bien - non -, elle jeta un coup d’oeil autour d’elle. Pas de caméra visible - c’était le principe après tout -, ni de clients suspects qui seraient complices de cette mascarade. Le tour était, de toute évidence, très bien monté.
Suah fit de son mieux pour se reprendre, retrouver de l’air, une dignité, un peu de tenue… Quoique ce Woo Jin avait en tête, il l’avait bien eu. Son calme la troublait davantage. Elle devinait presque un petit sourire au coin de sa bouche - qu’elle essayait de ne pas trop regarder pour des raisons évidentes. Elle avait chaud, terriblement chaud. Et peu importait dans quoi elle s’était embarquée, c’était finalement plus inattendu et pire que les machinations d’un tueur en série. Quoique…. rien n'écartait encore vraiment cette piste.

Il disait ne pas se moquer d’elle, mais Suah peinait à le croire. C’était facile à dire… mais qu’était-elle supposé penser d’autre ? Il parlait d’un mariage temporaire, mais d’un mariage quand même. Et cette bague…. Et …
…. JDSNMGOQIJ….
SA COPINE ?
Heureusement, l’étudiante ne buvait plus mais ses yeux s’écarquillèrent tels qu’ils ressemblaient à deux grosses billes sombres et scintillantes. Ses oreilles rougirent furieusement et elle étouffa un cri suraigu. Comment ça… sa copine ???
Elle n’était ni sa copine, ni sa future femme, ni… même une connaissance ?!
Non pas qu’elle n’aimerait pas avoir un petit ami aussi beau que Woo Jin mais encore fallait-il qu’elle réussisse ne serait-ce qu’à faire un date… NORMAL. Et même si ça arrivait, elle ne voyait pas comment elle pourrait sortir avec un garçon tel que lui. Lui, il pouvait avoir toutes les filles qu’il voulait à ses pieds, c’était sûr. Rien que son regard la rendait nerveuse…. si mutin et noir à la fois… Et quels sourcils !
Non, vraiment, elle n’avait rien à faire avec Woo Jin. Blague ou pas.
Et si elle était prête à s’enfiler un cheesecake en rentrant chez elle pour surmonter cette épreuve, elle ne sut que refuser une seconde fois, en secouant la tête, incapable de réfléchir ou même de répondre tant elle était abasourdie. Son long monologue était loin derrière elle…
La tourmente. Que la tourmente.

Le verre d’eau posé devant elle, elle l’attrapa puis marqua une pause comme si elle réalisait qu’il pouvait être empoisonné. En réalité, elle songeait que c’était le meilleur moyen de s’étouffer une seconde fois et leva le regard vers celui qui, à tout moment, pouvait lâcher une autre dinguerie. Méfiance….
« .… »
D’autant plus qu’à nouveau, elle n’était pas certaine de ce qu’il racontait. Il pouvait bien affirmer qu’il n’était pas un criminel, elle s’entendit marmonner : « ... j’ai quand même failli mourir deux fois en cinq minutes… » Elle ne savait même pas si elle le lui reprochait vraiment. Peut-être un peu. En vérité, elle attendait surtout des explications. Aussi, elle hocha vivement la tête quand il amorça le dénouement : « Par pitié… » Qu’il soit clair et surtout qu’il dise la vérité. A nouveau, elle sonda le café mais rien ne lui parut suspect.

Son frère se mariait, il voulait lui voler la vedette et provoquer des AVC à ses parents qu’il aimait.
Non, elle ne comprenait pas. Elle clignait des yeux, dans un silence qui en disait long.
La suite fut un chouïa plus précis mais toujours aussi improbable. Le rôle de sa fiancée ? Son coeur pulsait dans sa gorge. Est-ce qu’il l’avait bien regardé …? En admettant que la proposition était réelle… Pourquoi elle ? Qu’est-ce qu’il s’imaginait ? Qu’elle allait tenir un rôle de fiancée parfaite ? Il fallait elle-même qu’elle résiste aux AVC !!
« .… »
Un premier rôle. Qu’elle réfléchisse… ça…. son cerveau était déjà en ébullition.
Du regard, elle trouva le cheesecake qu’elle avait refusé. C’est vrai qu’il avait l’air délicieux. Et qu’elle aurait bien pris une bouchée. Elle glissa un oeil sur Woo Jin…. et mâchonna sa lèvre. Est-ce qu’elle hésitait vraiment à sa proposition….? C’était si ridicule…..

« ...... J’avoue que je ne sais pas quoi penser…. » finit-elle enfin par déclarer. Elle inspira puis avala son verre d’eau cul sec. S’il était drogué et bien tant pis… Quand le verre retrouva la table, ses yeux retrouvèrent son potentiel fiancé. Pff… « ... Je suis toujours convaincue qu’il s’agit d’une blague… mais admettons…. » Nouvelle inspiration. Elle s’efforça de chasser son trouble bien que ses traits transpiraient encore de confusion. « ... Tu veux te marier parce que ton frère se marie…? Pour l’embêter …? » Chacun ses raisons mais quand même… Elle mordilla sa lèvre encore. Il fallait qu’elle récapitule… pour être sûre… et prendre la bonne décision, s’il y avait une autre décision à prendre que fuir et désinstaller l’application de rencontre. « ... et ça serait… pour de faux, c’est ça…? » Evidemment que ça serait pour de faux !! Un week-end ou deux mois, a priori l’offre était variable. Ses doigts virent triturer le coin du journal depuis longtemps abandonné… « Et à la base, tu comptais demander à cette fille qui n’est pas moi, avec les tatouages et tout ça…. n’est-ce pas ? » Ensuite, elle vint mâchouiller le bout de sa paille. « .... donc pourquoi me demander à moi, maintenant ? Pourquoi ne pas trouver une meilleure candidate….? Ou alors, tu n’es pas très regardant et tu prends la première fille qui dira oui…? » Est-ce qu’elle était la première candidate ? Elle était à peu près sûre qu’il saura convaincre n’importe qui…. quoiqu’il avait une façon de présenter les choses qui pouvait faire douter. Bon sang, c’était tellement improbable comme situation… « ... Non, vraiment, si tu dis vrai, alors tu devrais trouver quelqu’un d'autre parce que je vois pas un monde où le dîner avec ta famille se passerait bien ! Déjà, ils vont te juger parce que tu pourrais ramener bien mieux et ensuite… y’a 120% de chances que je panique et que je renverse absolument tout sur la table et s’il y a une bougie au milieu, je mettrais le feu à la nappe et à ta maison et à tes parents et……………. Tu vois, je panique déjà !! »