Il y a des jours si délicieux que l’ivresse du sommeil ne se fait pas désirer. Ce jour-là en fait partie. En effet, pour la première fois depuis bien longtemps ses douleurs sont moindres. Pas de tiraillements tels que sa respiration en devient insupportable. Pas de coup de couteaux dans ses membres qu’il en vient à se mordre les joues à sang afin que Seul Bi ne se rende compte de la réalité que vie Seul Woong. Rien de tout celà, non. Il en vient à penser venir plusieurs fois dans l’année. Prendre soin de lui. Prendre soin de son corps meurtrie. Cette enveloppe qu’il déteste d’habitude ne le tourmente pas et lui offre une nouvelle bouffée d’air pur. Une pause dans son combat. Une accalmie dans l’ouragan de son existence et cela fait un bien fou. Il respire tout simplement.

Pas de miracle bien évidemment mais tout devient plus supportable pour lui. Il inspire profondément. Expire. Prends le temps d’écouter son palpitant battre à un rythme correct et sourit. La soirée s’est bien passée, les discussions furent agréables et ponctuées de rires. Voilà bien longtemps que les Kwon n’avaient pas pris le temps de partager un réel moment l’un avec l’autre. Bien trop travailleurs ces deux-là et pourtant… Il a beau vivre avec sa petite sœur, l’architecte ne fait que la croiser. A croire qu’il n’y a pas assez d’heures dans une journée pour qu’ils puissent passer un peu de temps avec elle et alors que ses yeux papillonnent le tirant un peu plus vers les bras de morphée, il regrette un instant tout ce qui peut les séparer. Un battement de cil plus tard le voilà tiré vers le pays des rêves. Serein. Oubliés les regrets, il profite d’un repos bien mérité. Pourtant celui-ci se fait de courte durée. Sa sœur remue à ses côtés et le sommeil de l'architecte se fait plus léger. Ce palpitant qui était si serein un instant plus tôt s'affole, lui signifiant que quelque chose d'anormal est entrain de se passer. L'instinct fraternel reprends le dessus. Seul Bi à besoin de lui et ses yeux s'ouvrent d'un cou d'un seul. Il le sent. Il le sait au plus profond de lui, il est l'heure de s'extirpé de se sommeil qui l'englobe tout entier. Son corps se tourne et machinalement ses bras musclés s'enroulent autour du petit corps tremblant de sa soeur. Il se veut protecteur. Machinalement sa main caresse les cheveux de ce petit bout de femme qui retrouve tout à coup ses traits d'enfant. Il la revoit des années plus tôt, si jeune et fragile. Son petit rayon de soleil. Seul Bi... Respire little sunshine... chuchote-t-il. La priorité reste de la calmer. Oui. Dis-moi tout... il sait et pourtant, tout comme il s'est confié à elle quelques heures auparavant c'est à son tour à elle de lui livrer la cause de ses tourments...

Elle respire avec difficulté. Perdue entre le réel et le rêve. Entre le passé et le présent. Seul Bi sent la présence de son frère à ses côtés. Elle sent ses bras forts, musclés, protecteurs autour de son corps. Elle frissonne, sa transpiration froide glissant sur sa peau brûlante. Une légère fièvre s’est emparée d’elle, comme souvent après ces cauchemars d’une autre intensité. La respiration douce et régulière de Seul Woong l’aide à l’apaiser. Doucement, son corps se détend, sa crise se dissipe, le réel prend le pas sur le rêve. Son frère est vivant, à ses côtés. La Mort n’a pas réussi à l’emmener avec lui. Le surnom que lui donne l’aîné lui permet de se remettre de ses émotions presque entièrement. Ce surnom réservé aux moments difficiles. Ce surnom qui la ramène sur Terre à chaque fois. Doucement, elle plonge son regard paniqué dans celui inquiet de son frère, et elle se blottit contre lui, ne pouvant pas tout de suite lui raconter ce que son cerveau lui a fait vivre. Tremblante, elle prend le verre d’eau sur sa table de chevet et le vide d’une traite, avant de passer ses mains sur son visage. Elle se recouche ensuite et se colle aussi fort qu’elle le peut contre le corps de son frère, fermant les yeux pour sentir son odeur à plein poumon, sentir son souffle sur ses cheveux, sentir qu’il est bel et bien vivant.

“J’ai… J’ai revu l’accident…” dit-elle à voix basse. “Tu t’éloignais de moi, tu avais ton casque sur ta tête… Tu as dit que c’était de ma faute avant de te faire percuter…” Elle se remet à trembler, revoyant les images dans sa tête. Aussi bien celles de son rêve que celles qu’elle a vues de ses propres yeux. “Hyeon Min n’était pas là…” Mais ça, Seul Woong s’en doutait sans doute : le pompier n’était jamais présent dans ses rêves. “Et du coup… Du coup…” Elle n’arrive pas à terminer sa phrase, étouffée par les sanglots. Mais elle n’avait pas besoin de mots, son frère avait sans doute compris la finalité de son rêve. Elle pleure quelques minutes avant d’oser enfin regarder le visage de son frère. Elle lui caresse doucement l'entièreté du visage. Il était bien vivant. “Je suis désolée Oppa… Désolée de t’avoir demandé de me chercher à la gare… Désolée de ne pas te laisser dormir convenablement une nouvelle fois… Désolée de perturber notre voyage…” Seul Bi savait qu’elle n’y pouvait rien, qu’elle n’était pas responsable de ce qu’il s’était passé mais c’était plus fort qu’elle. La culpabilité s’amusait parfois à la ronger, à son plus grand désespoir. “J’aimerais tellement te donner mes jambes Oppa… Tellement…” Elle ne le lui avait jamais dit. Et pourtant, elle avait cette pensée dès le premier jour. Dès qu’elle avait appris qu’il ne pouvait plus remarcher. Elle aurait voulu lui donner les siennes. Car c’était en allant la chercher qu’il avait eu ce foutu accident. Qu’il avait perdu une partie de sa vie. Et ça, jamais elle ne pourrait se le pardonner.