Aéroport d’Incheon
Masque sur son visage comme à son habitude, Seul Bi pianotait sur son téléphone en attendant l’arrivée de sa commande. Elle vérifiait pour la 150 000 fois que sa réservation avait bien été prise en compte, et que l’hôtel leur avait bien mis une chambre PMR à disposition. Profitant de la fermeture contrainte de sa boutique à cause de travaux dans la rue, Seul Bi avait programmé ce petit week-end à la va-vite. Deux jours et une nuit loin de Gwangju, avec Seul Woong. Cela faisait un petit moment qu’ils n’avaient pas quitté leur quotidien, et Seul Bi était heureuse de pouvoir passer un moment loin de l’attique et de Gwangju avec son frère. Il y a quelques semaines, elle était tombée sur un article parlant d’un oncheon, les sources d’eaux chaudes coréennes, à Seonkmodo, une île près d’Incheon. L’article précisait que les eaux de ces sources étaient bonnes pour les douleurs musculaires, et même si son frère ne lui disait pas tout, la pâtissière n’était pas née de la dernière pluie et elle savait pertinemment qu'il souffrait parfois, en silence. Alors elle espérait que ce week-end - deux jours et une nuit - allait lui permettre de souffler un peu et d’avoir moins mal les prochains temps. Et puis la vue à couper le souffle du lieu ne pouvait que les aider à bien profiter de ce moment.

Leur commande arrive enfin et Seul Bi, après avoir vérifié que personne ne les regarde, se permet de retirer son masque pour goûter son caramel machiato, un grand sourire aux lèvres. « Tu peux me regarder autant que tu veux, je ne te dis pas encore où l’on va » s’adresse-t-elle à Seul Woong, installé en face d’elle. « Et oui, je t’assure qu’il existe un endroit en hiver ou l’on peut avoir besoin de son maillot de bain tout en restant dans notre pays. » Elle se souvient de la tête stupéfaite de son frère quand il l'avait regardé préparer leurs deux valises. Il avait essayé d’en savoir plus, mais la trentenaire avait tenu et ne leur avait rien dit. Elle regarde sa montre tout en buvant, avant de regarder son frère : « Dans quarante-cinq minutes, notre second avion décolle. Tu sauras à ce moment-là où on va. Patience est mère de vertu, tu devrais le savoir, Monsieur l’architecte ! » Est-ce qu’elle prend un malin plaisir à le taquiner ? Oui, elle ne va pas s’en cacher. D’autant plus qu’elle avait insisté pour que ces deux jours soient entièrement sans travail, alors elle allait bien en profiter pour l’embêter tout du long. Et Sparkle dans tout ça ? Il était resté à l’attique, Seul Bi ayant demandé à Xiao Mei et à Hyeon Min d’y passer quelques fois par jour pour veiller à ce que tout aille bien pour lui. « J’ai vraiment hâte d’y être. Je suis sûre que ça va nous faire le plus grand bien » dit-elle en piquant un bout du gâteau que son frère avait commandé. Encore et toujours en train de l’embêter.

Il l’observe. Mains jointes devant ses lippes qu’il garde pincées, un sourcil arqué en un point interrogateur. Pourtant elle ne semble pas lui prêter la moindre attention. Il aurait presque envie d’en rire mais regarder sa petite sœur se jouer de lui n’est pas la chose la plus agréable qu’il ai eu à subir. Il est d’un naturel curieux et Seul Bi est bien placée pour le savoir. C’est d’ailleurs pour cette raison, il en est sûr, qu’elle ne daigne pas lui offrir ne serait-ce que le moindre indice sur leur destination. Son regard glisse sur le téléphone sur lequel elle tapote avec une remarquable rapidité puis, retrouve son visage masqué. Seul Woong soupire en se penchant un peu plus sur la table. Il a beau connaître sa sœur depuis ses plus jeunes mois, elle a l’art et la manière d’arriver à lui retourner le cerveau et ce, probablement car l’homme à toujours fait preuve de faiblesse devant ses yeux pétillants de vie. Seul Bi était sans conteste le rayon de soleil dans la vie de son frère malgré les événements qui les avaient marqués tout un chacun.

Alors qu’un râle se prépare à s’échapper de ses lèvres, la vue du gâteau au chocolat qu’il avait commandé quelques minutes plus tôt suffit à le radoucir quelque peu.Tandis que sa sœur trempe ses lèvres dans son caramel macchiato, celui-ci se saisit de la tasse de café tout juste fumante qu’on lui dépose sous le nez. Ses narines s’extasient sur l’odeur qui s’en dégage alors que ses muscles se détendent un a un. Les miracles de la caféine dit-on. Il avait pris l’habitude d’en déguster un de temps à autre lors de son séjour à Paris et appréciait la nostalgie que cela pouvait lui inspirer. Enfin Seul Bi daigne lui adresser la parole. « Je suis perplexe mais soit, je te fais confiance…Là est peut-être mon erreur » dit-il avec un éclair de lucidité. Il secoue la tête avant de prendre une nouvelle gorgée de sa boisson cette fois-ci avec un sourire. « Je sais très bien de ce dont tu es capable et ça ne me rassure pas beaucoup… » dit-il en essayant de gouter un morceau de pâtisserie qu’il se fait chiper sous le nez. « Quarante-cinq minutes c’est beaucoup trop long… Beaucoup beaucoup beaaaaaaucoup trop long. » continue-t-il avec exagération, ne prétend pas vraiment attention aux personnes alentours. « Je ne suis plus tout jeune Mademoiselle Kwon, ne l’oubliez pas. » finit-il en enfournant une bouchée de gâteau dans sa bouche. Ses lippes s’étirent en un sourire satisfait révélant le reste de ses traits enfantins. Il jette un coup d’œil à sa montre connectée essayant de s’assurer qu’aucun mail important n’est arrivé du bureau. Rien. « Puis en plus les pâtisseries sont beaucoup moins bonnes que les tiennes. » il bat des cils d’un air charmeur. Un clown dans toute sa splendeur. « Seul Bi tu n’as pas pitié d’un vieil homme fatigué ? » feigne-t-il avec une moue bien trop exagérée pour être convaincante. Insupportable.

La patience n’était pas une vertue de son frère. Enfin, ce n’était pas tout à fait vrai. Seul Woong savait se montrer patient, à plusieurs égards, mais jamais quand ça la concernait. Et ça, Seul Bi le savait pertinemment et elle s’en servait dès qu’elle en avait l’occasion. Parce qu’elle aimait taquiner son frère. Parce qu’elle l’aimait l’entendre rouspéter. Mais surtout, parce qu’elle savait qu’à la fin, il va oublier d’être passé par tout ça puisqu’il sera heureux de la surprise que la plus jeune lui a préparé. Alors elle pouvait bien s’amuser un peu avec lui. Même si elle n’allait pas s’arrêter une fois arriver à destination, loin de là. Parce que c’était ça aussi, leur relation : des taquineries. Il ne fallait pas croire que Seul Bi était la seule taquineuse de la famille, son frère était pas mal aussi quand il s’y mettait. Mais à cet instant, c’est bien la plus jeune qui embête son aînée, et même si elle a les yeux vissés sur son écran de téléphone, elle arrive quand même à zieuter son frère, et elle sourit sous son masque. Il était vraiment drôle à voir à cet instant. Qu’est-ce qu’elle l’aimait, son grand frère.

La pâtissière passe sa langue sur ses lèvres remplies de crème chantilly, avant de lever les yeux aux lèvres. « Comme si je t’avais déjà fait des sales coups. Tu as toujours aimé mes surprises je te ferai dire ! » Même quand, à l’âge de cinq ans, elle avait décidé d’offrir un dessin à son frère et que sa toile s’est retrouvée être le t-shirt préféré de Seul Woong. Il aurait pu la gronder, mais il l’a remercié et a précieusement gardé le t-shirt pendant de nombreuses années. « Franchement, tu exagères. J’ai toujours pris soin de toi ! » Bon, il est vrai que de temps en temps, elle lui faisait des petites blagues, mais c’était toujours bon enfant. Quand elle l’entend se plaindre, elle pose sa tête dans la paume de sa main et le regarde avec un doux sourire. « Oppa, on dirait vraiment un enfant là. Tu es sûr d’avoir quarante ans ? » Et hop, une petite taquinerie supplémentaire, qui la fait rire. Mais elle offrait parfois du repos à son frère, même si on ne dirait pas. « Je suis d’accord avec toi, mes gâteaux sont meilleurs. Mais pour un aéroport ça passe. Par contre leur caramel macchiato est hyper bon ! » D’ailleurs, elle continue de le siroter et quand elle l’a fini, s’empresse de remettre son masque, la peur grandissant au fond d’elle. Et si jamais elle était reconnue ? Impossible que sa pire crainte gâche leur moment à deux. « Tout le monde sait que tu es déjà un grand-père, ne t’inquiètes pas » répond-t-elle à son frère tout en s’étirant. Mais elle va tenir bon, et ne rien dire jusqu’à leur arrivée dans l’avion.

Le temps file à toute vitesse quand les taquineries sont de mise et un membre du personnel de l’aéroport vient les chercher pour embarquer. Avec l’handicap de Seul Woong, ils embarquent avant tout le monde et ils sont toujours accompagnés. L’embarquement se fait rapidement et après un transfert rondement mené par son frère, ils sont en train de s’attacher pendant que les autres passagers montent dans l’avion. Seul Bi en profite pour sortir de son sac la brochure du oncheon dans lequel ils vont séjourner, et la donne à son frère. « Surprise. On va sur une île qu’on a encore jamais faite : Seongmodo. Ils ont des sources d'eau chaudes qui ont notamment des bienfaits sur les douleurs musculaires. Et en plus, leur localisation est juste en face de la mer. Autant allié le plaisir à l’agréable, non ? » La benjamine se mord légèrement la lèvre. Elle sait que les douleurs musculaires sont un sujet dont Seul Woong ne parle jamais - alors qu’il devrait -, et elle ne peut pas s’empêcher de se demander si c’était vraiment une bonne idée. Mais elle avait vraiment envie de lui faire plaisir, et elle a vraiment envie de faire l’expérience d’un oncheon, n’en ayant encore jamais eu l’occasion. Alors comme elle avait dit plutôt : autant allié le plaisir à l’agréable. « Est-ce que ma surprise te plaît ? » demande-t-elle d’une petite voix hésitante, scrutant le visage de son aîné avec attention.

Elle se joue de lui. Oui, inlassablement, elle se joue de lui. Bien trop taquine, bien trop fière d’elle. Elle prend un malin plaisir à torturer son frère et pour toute réponse il se complait à entrer dans son jeu. C’est ainsi. Ça l’a toujours été après tout. Seul Bi et Seul Woong. Eux deux contre le monde entier. Le frère et la sœur. La sœur et le frère. Attachée à elle dès son premier sourire, il l’aurait suivie jusqu’au bout du monde. Voilà d’ailleurs la raison pour laquelle tous deux se trouvent assis l’un face à l’autre dans cet aéroport.  Il ne connaît rien de leur destination et pourtant, malgré son jeu d’acteur frôlant la perfection, c’est tout juste si il se pose la moindre question. Une confiance aveugle bien ancrée envers celle qui ne lui porterai jamais atteinte. Alors, en tout bon grand-frère, il se sent obligé de râler. Plus rongé par l’impatience que par l’inquiétude. Il trouve d’ailleurs la situation plus que drôle. Après tout, il n'a pas souvent l’occasion d’être kidnappé par Seul Bi de cette façon. Si heureuse de passer un moment avec lui, loin de la routine que peut leur infliger le quotidien. Il faut d’ailleurs avouer que ces derniers temps rien ne leur a été épargné. Beaucoup trop absorbés par leur boulot respectifs, pas une minute de pause ne leur est autorisée. La rançon du succès comme ils se plaisent à le dire. Bonne excuse pour ne pas s’avouer la surcharge de travail que leur impose le travail de patronat.

Quand sa cadette mentionne le fait qu’il a toujours apprécié ses surprises, l’architecte ne peut s’empêcher de pouffer. Certes Seul Bi est imaginative et la plupart du temps mignonne au possible, cette dernière ne manquait pas, plus petite, l’occasion de le mettre dans des situations gênantes. Il sourit en repensant à la fois où elle l’avait suppliée de goûter la pâtisserie qu’elle avait mit des heures à préparer… à base de boues et autres branchages. Effectivement, je n’ai jamaaaais été déçu chuchote-t-il en étouffant un fou rire. Alors qu’il entame un nouveau mouvement afin de se servir une nouvelle cuillère de gâteau, il fronce les sourcils. Sa langue vient glisser machinalement sur ses lippes avec agacement avant de plonger son regard dans celui de sa petite sœur. Comment ça 40 ans ?! Et voilà qu’elle devient impertinente en plus ! dit-il d’un air faussement outré. Un clown, un vrai. Si tout le monde le sait, je ne vois pas pourquoi je me priverai de continuer à me plaindre jeune fille ! continue-t-il en lui adressant un clin d'œil entendu. Il aime passer du temps avec elle et encore plus la relation qu’ils ont réussi à fonder.

Sur cette touche d’humour un employé de l'aéroport vient les interrompre en pleine joute verbale, plus qu’amicale bien sûr, afin de les conduire à leur nouvelle zone d’embarquement. Au vue de sa situation Seul Woong et sa sœur embarquent avant tout le monde et ceux-ci sont installés confortablement dans l’avion lorsque Seul Bi se tourne avec un grand sourire vers lui. Avec un grand sourire, il attrape la brochure que sa cadette lui tend afin d’en étudier le contenu. Un oncheon s’étonne-t-il en premier lieu mais le discours de sa sœur fait totalement changer les traits de son visage. Douleurs musculaires. Ses lippes se pincent alors que son regard se fait fuyant. Evidemment que cette attention lui fait plaisir. Évidemment qu’il se réjouit de réaliser cette expérience avec elle mais… Ses mots. Son attitude. Elle sait. Elle sait pour ses douleurs et cela signifie qu’il n’a pas su la protéger de ça. Il se racle la gorge. Hoche la tête en essayant de se reprendre. Bien sûr… Merci, ça va être super ! dit-il en souriant de son mieux pour paraître sincère. Je n’y aurais jamais pensé de moi-même continue-t-il en se passant une main sur la nuque. Tu as raison Seul Bi… Tu as toujours pris soin de moi finit-il en lui prenant la main. Et c’est le cas.

Elle le sentait. Elle le savait. Au fond de lui, il ne râlait pas vraiment. Il devait le faire, l’exprimer pour maintenir son image. Mais Seul Bi en était sûre, il ferait tout pour elle. Et la réciproque était bien évidemment de mise. Il n’avait peut-être pas du sang en commun, mais c’était tout comme. Il a toujours été son roc, son pilier. Son confident. Son attache avec le monde réel aussi, quand elle était idole et que tout lui souriait. Sans Seul Woong, il n’y a pas de Seul Bi. Cette relation fraternelle était belle, puissante et bienveillante. Rien de malsain entre eux, juste un profond respect ; un profond amour. Comme si, dans une autre vie, ils étaient déjà frères et sœurs. Elle avait toujours été là pour lui, comme lui avait toujours été là pour elle. Ils avaient leurs moments de joie, de peine. Des rires et des pleurs. Seul Bi était aussi l’une des seules qui pouvait se permettre de blaguer vis-à-vis de la condition de son frère. Mais elle ne le faisait que rarement, parce qu’elle n’aimait pas le faire. Elle était encore traumatisée de l’accident, même si elle ne le disait pas forcément à haute voix. Tous les deux avaient parcouru un sacré chemin, depuis ce jour-là. Ce qui aurait pu les détruire les as rendu encore plus fort. Et même si maintenant ils vivaient ensemble, ils avaient parfois du mal à se voir plusieurs heures par jour, car tous les deux étaient très pris. Alors ce voyage ne pouvait leur faire que du bien. C’était dans cette optique là aussi que Seul Bi l’avait organisé.

Elle regarde son frère d’un regard pétillant et avec un grand sourire, avant de lui tirer la langue face à sa légère pique. « Avoue que ça a apporté du piquant dans ta vie. C’est clairement pas avec Père et mère que tu aurais eu autant de surprises. » Ce n’est pas qu’ils manquaient d’humour, mais ils étaient trop coincés dans les hautes sphères de la société pour se laisser aller facilement. Quand bien même ils ont passé de très bons moments tous les quatres, et ils ont laissé leur fille réaliser son rêve. Mais tout cela appartenait au passé, et c’était très bien ainsi du point de vue de la pâtissière. « Mine de rien, c’est dans quelques mois…, ajoute-t-elle un sourire aux lèvres. D’ailleurs, tu as prévu quelque chose pour passer ce cap ? » Incapable de rétorquer quoi que ce soit, elle se mord les lèvres. Et toc, un point pour lui. Elle fait une moue désapprobatrice qu'il peut voir malgré son masque grâce à son regard,  avant de se mettre à le bouder, un très court instant car elle ne peut jamais bouder son frère très longtemps. Et puis bouder devant un employé de l’aéroport, ce n’est peut-être pas la chose à faire.

Bien installée sur son siège, elle décide de ne pas torturer son frère plus longtemps et lui révèle leur destination, ainsi que la raison de son choix. Elle voit d’abord la surprise passer sur le visage de son frère, avant que son visage ne devienne plus sombre et ses yeux fuyants. Seul Bi baisse alors les yeux, culpabilisant sur son choix. Elle aurait peut-être dû lui présenter les choses sous un autre angle. Quand elle l’entend se racler la gorge, elle relève sa tête et le regarde à nouveau. Elle sait qu’il est sincère, quand il la remercie. Mais son cœur se serre en se disant qu’elle a peut-être fait une petite bêtise. Délicatement, elle pose sa seconde main sur la sienne « Oppa, je ne suis plus une enfant. J’ai toujours pris soin de toi, comme tu l’as fait pour moi. Je ne suis pas bête, je me doute bien que tu souffres parfois même si tu ne me dis rien… Pardon, je ne voulais pas te mettre au pied du mur ou te faire culpabiliser ou quoi que ce soit d’autre... » Elle n’a qu’une envie, c’est de se blottir contre lui, pour le réconforter, pour se réconforter, mais c’est difficile de le faire maintenant, les sièges de l’avion ne le permettant pas réellement. « Ces sources sont aussi réputées pour d’autres choses, et puis surtout, la vue et les paysages ont l’air magnifique. Je n’ai rien prévu d’autre à part notre destination et l’hôtel. Je suis sûre qu’on aura plein de choses à faire pendant ces deux jours. » Sans que leurs mains ne se lâchent, elle s’approche de lui pour lui faire un bisou sur la bouche, à travers son masque, avant de poser son front contre son épaule. « Je t’aime Oppa. » Elle savait, au fond d’elle, qu’une fois que Seul Woong aurait digéré tout ça, il allait aller mieux et ils allaient passer un bon moment, de manière sincère. Il lui fallait juste un peu de temps. Et il allait en avoir un peu, le temps du vol, même si l’île n’était pas loin de l’aéroport. D’ailleurs, l’avion est relativement petit, puisque l’île possède seulement un aérodrome. Alors il est vite plein, et il décolle sans plus attendre pour amener tous les passagers à bon port.

Si jamais il n’a vu en Seul Bi autre chose qu’une petite sœur, il ne peut s’empêcher de penser qu’aujourd’hui elle n'est plus la petite fille qu’il a observé s’épanouir à travers les années. Petit rayon de soleil qui était un jour venu éclairer sa vie, elle est à présent une femme au parcours plus qu’impressionnant. Elle n’en a certes pas conscience, bien trop marquée par les épreuves de la vie, elle n’en reste pas moins un modèle de courage aux yeux de l’architecte. Forte, rayonnante et douce. Voilà ce qui qualifie le mieux Seul Bi pour lui. Rien n’est inatteignable pour ce petit bout de femme, il en est convaincu. Et pour preuve, elle est la seule personne capable de convaincre Seul Woong de boucler ses valises sans même savoir sa destination, lui qui d’ordinaire est minutieux au possible, bien trop attaché au moindre détail, il n’y a qu’auprès d’elle qu’il est capable de tomber le masque. Il est coutume de dire que celui qui a un frère ou une sœur possède un trésor. Cette phrase ne peut être plus vraie que dans leur cas, car avoir un frère ou une sœur est une excellente occasion d’établir des liens permanents avec une personne que vous voyez grandir et se développer année après année. C’est exactement ce qu’il s’était passé pour eux.

Son palpitant battant à la chamade, c’est au rythme de celui-ci qu’il se laisse conduire vers son avion. Trépignant d'impatience, il a du mal à tenir en place, triturant ses pauvres mains dans tous les sens. Il faut dire que Seul Bi s’est donné beaucoup de mal à le faire patienter et si jusqu’ici il avait laissé son côté taquin ressortir, c’est l’impatience qui prend maintenant réellement part de son être. Le temps lui paraît s’écouler au ralenti alors qu’ils prennent tous deux places dans un petit avion à hélice. Rien de bien extravagant, ce qui ne laisse à Seul Woong aucun répit face au déferlement de questions qui se bousculent dans sa tête. Fort heureusement pour lui sa petite soeur mets vite fin à la torture quand celle-ci lui tend la brochure du oncheon dans lequel ils vont passer le week-end. Pourtant les mots qui accompagnent ses explications lui font l’effet d’un uppercut. Son palpitant loupe un battement alors qu’il essaie de se contenir du mieux qu’il le peut. Sa langue vient humidifier ses lèvres qui sèchent sous l’angoisse alors que Seul Bi tente tant bien que mal de rattraper les choses et tout de suite il s’en veut. Il sait que cette surprise part d’une bonne intention. Il sait que sa réaction n’aide en rien à rassurer sa petite sœur mais il sait aussi qu’elle s’en veut encore pour cet accident. Conscient que le traumatisme de cet instant reste encore gravé profondément en elle et même si c’est lui qui a perdu ses jambes ce jour-là, il n’a aucun souvenir de ce qu’il s’est réellement passé, au contraire de Seul Bi qui elle, vit avec ces stigmates du passé.

Sans lâcher la main de sa cadette, Seul Woong pose la tête contre la sienne. Je t’aime aussi Seul Bi. chuchote-t-il alors que l’appareil décolle sans attendre. Le vol est court et les minutes qui passent à une vitesse folle suffisent a l’architecte pour se détendre enfin. Alors que l’avion se vide peu à peu, c’est un nouvel employé qui vient les chercher lors du débarquement. Un soleil radieux les accueillent alors, tandis qu’un vent doux vient effleurer leurs chevelures. Avec un grand sourire, il observe les paysages magnifiques qui les entourent déjà. Fouillant dans sa sacoche, il arbore fièrement ses nouvelles lunettes de soleil de style aviateur avant de se tourner vers sa sœur avec amusement.  Ça me va bien tu ne trouves pas ? Je peux facilement faire concurrence aux jeunes des groupes de Kpop. dit-il convaincu. Même à quarante ans, je fais des ravages. fini-t-il avec exagération afin de détendre l'atmosphère.

Adopter un enfant alors qu’on en a un biologique est toujours délicat. Pourtant, c’est ce qu’on fait les Lee. Ils ont pris le risque d’adopter Seul Bi au sein de leur famille, alors qu’ils avaient déjà un fils. Est-ce parce qu’il était déjà âgé de huit ans à l’arrivée du bambin d’à peine quelques mois ? Est-ce parce que Seul Bi avait un charme particulier ? Quoi qu’il en soit, entre eux, tout a tout de suite fonctionné. Aucune jalousie, aucune méchanceté de part et d’autre. Une relation et un amour fraternel. Comme une évidence. Comme si c’était écrit depuis leur naissance respective. Seul Woong a toujours été son roc, son soutien. Peu importe ses choix, peu importe ses envies. Il a été là et l’est toujours encore. Comme la cadette. Toujours présente quand son frère à besoin de lui. Même quand il n’a pas besoin d’elle en réalité.

C’est aussi pour ça qu’elle veut lui faire ce cadeau. Pour qu’ils passent un bon week-end tous les deux parce que ça fait longtemps qu’ils n’ont pas pu le faire. Mais aussi pour lui dire, de façon indirecte, qu’il peut tout lui dire. Car elle sent, elle sait qu’il lui cache parfois des choses sur son état de santé. Qu’il sourit en disant que tout va bien alors que ce n’est pas vrai. Mais jamais, ô grand jamais, elle ne l’a forcé à dire quoi que ce soit. Et jamais elle ne le fera. Elle veut juste, d’une façon sans doute maladroite et mal amenée, elle s’en rend compte maintenant, lui dire que ça ne change rien. Qu’elle sera toujours avec lui même si c’est dur et qu’il souffre. Parce qu’à deux, peut-être que la douleur sera plus supportable. Elle ne veut pas le faire culpabiliser, ni le perturber. Elle veut juste l’apaiser, ne serait-ce qu’un court instant. Et s’ils peuvent alliés l’utile à l’agréable, autant le faire, non ?

Mais alors, est-ce que Seul Bi dit tout à son frère ? Oui et non. Parfois elle ne dit rien, mais quand les cauchemars hantent ses nuits, il n’y a qu’un seul endroit ou elle est bien : dans ses bras. Alors elle quitte sa chambre pour rejoindre celle de son frère, se glisse dans le lit et s'endort contre lui. Parfois il le remarque de suite, parfois à son réveil. Et comme elle, il ne la force jamais à dire quoi que ce soit. Au fond, à travers ce voyage et cette destination bien particulière, Seul Bi veut juste lui dire qu’il peut agir avec elle comme elle agit avec lui. Mais s' il ne veut pas, s’il n’y arrive pas, ce n’est pas grave. Car ce petit voyage aura alors une autre signification. Qu’ils vont lui trouver à deux.

Les doux mots de son frère l’apaise quelque peu. Toute la durée du voyage, elle reste collée à son frère. Il est tellement confortable et apaisant qu’elle s’endort sur son épaule, réveillée lorsque le pilote annonce leur descente. Alors elle s’étire tel un chat et commence à rassembler leurs affaires, pour qu’ils puissent sortir rapidement de l’avion une fois celui-ci au sol. Car plus tôt ils descendent, plus tôt ils peuvent en profiter. Et Seul Bi n’a qu’une hâte : se détendre dans une source d’eau chaude. Protégeant également ses yeux d’une paire de lunettes, elle regarde son frère avec amusement, même s’il ne peut pas le voir. « Elles sont parfaites pour toi ! Je n’avais pas vu que tu en avais une nouvelle paire. » Elle est soulagée de voir qu’il va mieux et qu’il semble assimiler l’idée qu’elle sait pour ses douleurs. « Tu feras toujours des ravages, peu importe ton âge, Papi ! » s’exclame-t-elle dans un rire.

Après avoir récupéré leurs bagages, grimper dans le taxi et être arrivés à l’hôtel, ils peuvent enfin récupérer la clé de leur chambre et en prendre possession. Cette dernière, évidemment entièrement adaptée, est spacieuse. Ils ont même un petit jardinet, qu’ils ne vont peut-être pas avoir l’opportunité d’en profiter, les températures étant encore un peu fraîches en ce début de mars. « Je trouve ça vraiment bien qu’un employé viendra avec nous quand nous irons aux sources pour pouvoir t’y installer. Bon je t’aurais pris sur mon dos, mais c’est quand même plus bas que le sol. » exprime la pâtissière tout en posant leurs trousses de toilettes dans la salle de bain. « Et puis c’est compréhensible que l’intérieur des bassins ne soit pas accessible, mais ils ont vraiment pensé à tout. » Afin de garantir leur intimité, Seul Bi avait privatisé une des sources juste pour eux pour tout leur séjour. « Par contre, je pense aussi profiter de leur piscine. Elle a l’air folle » dit-elle en retournant dans la chambre pour s’occuper de sa valise. « La chambre est géniale aussi. Tu as vu qu’on a même des boissons bienvenues ? » demande-t-elle en les pointant du doigt. « Et les massages ? J’ai cru que j’allais m’évanouir de bonheur quand la réceptionniste nous les a présentés. » Exitée, la jeune femme ? A peine pas.

Après la surprise vient l’apaisement. D’un naturel optimiste Seul Woong chasse les nuages d’un revers de la main pour se concentrer sur le soleil qu’est Seul Bi. Son soleil. Il sait qu’elle n’a pas voulu agir à mal. Il ne lui en veut pas pour la simple et bonne raison que sa sœur à voulu prendre soin de lui, comme lui le fait pour elle. Fier de ce lien qui les unis, ils ont beau ne pas être du même sang, ils apprennent à composer l’un avec l’autre depuis leur plus jeune âge ce qui rend leur parcours plus beau encore. Chaque instant devient plus facile à vivre lorsqu’elle est à ses côtés et c’est pour cela qu’il tente de voir ce week-end sous un autre angle. Le goût amer de l'échec s’estompe alors. Il n’a pas réussi à protéger Seul Bi de la réalité que lui infligent ses blessures. Il s’en veut certes, mais sa sœur vivant avec lui ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne le surprenne se tordre de douleur silencieusement recroquevillé dans une pièce. Parce que c’était toujours ainsi. Il avait beau ne plus sentir ses jambes, sa chair bouillonnait de l’intérieur à chaque crise. Marqué au fer rouge, Seul Woong retenait chaque cri en ne laissant qu’un râle retenu s’échapper de ses lippes tremblantes. Si elle avait deviné pour ses crises, il espérait au fond de lui que jamais elle ne l’avait surprise dans cette situation, son mental d’acier ne faisant partie que des limbes dans ce cas de figure.

Un soupir passe la barrière de ses lèvres comme un souffle nouveau venant gonfler ses poumons. Il chasse son mal pour ne garder que le bien. Voilà comment il fonctionne. Bien droit dans son fauteuil, il offre à la pâtissière son plus beau sourire. Lui adresse la meilleure facette de lui-même et admire le paysage qui se dessine sous ses yeux. Les compliments qu’elle lui adresse à propos de ses lunettes suffisent d’ailleurs à le revigorer. Il faut dire que pour un homme allant sur la quarantaine il est encore bel homme et pourtant… L’amour il l’a laissé de côté pour privilégier sa carrière. L’espoir de fonder une famille ou même de connaître une idylle s’éloigne au fil du temps qui passe. Trop vite d’ailleurs. S’il avait du succès pendant ses jeunes années, il avait préféré apprendre à s’acclimater avec ce corps qui ne fonctionnait plus aussi bien qu’auparavant. A dompter les cicatrices qui recouvraient une partie de son épiderme et surtout à s’aimer tout simplement. La chose n’était pas aisée et pourtant il s'évertue à le faire un peu plus chaque jour à travers le regard de ses proches.

Alors que Seul Bi récupère les bagages et que les agents de l'aéroport le conduisent au taxi, l’architecte en profite pour jeter un œil à la brochure qu’il a mis de côté le temps du vol, bien trop accaparé par ses pensées. Seul Bi a du goût, il n’en a jamais douter un instant mais sa sœur n’a pas fait les choses à moitié pour ce week-end. Avec un sourire, il monte dans le taxi et échange de nouvelles banalités avec le chauffeur cette fois. Il a l’art et la manière de s’adresser aux gens, un talent transmis par leurs parents. On ne signe pas de gros contrats sans savoir flatter les personnes nous faisant face. Il doit bien l’avouer, la persévérance de leurs parents, ou le harcèlement, à vouloir qu’il apprenne le management lui sert tous les jours dans son métier. Un mal pour un bien il va sans dire. Une fois les clés de leur chambre récupérées, Seul Bi s’attèle à la tâche rangeant leurs affaires telle une pile électrique. Me porter sur ton dos ? Vu ma musculature irréprochable, et j’insiste sur le I-RRE-PRO-CHABLE, tu n’aurais pas réussi à faire deux pas ! dit-il en riant. D’un air amusé, il se dirige vers les boissons de bienvenue et prend une gorgée d’un cocktail au goût sucré. Des boissons de bienvenues ? Ah ?! J’avais pas vu ! Quelle délicate attention n’est-il pas ? continue-t-il de son air angélique. En parlant des massages on pourrait commencer par ça non ?! Histoire de se sentir tout léger avant de s’échouer dans la piscine comme des baleines ? fini-t-il fièrement. Se tournant vers Seul Bi il lui tend sa boisson avec un énorme sourire. A nous soeurette !

Même si elle savait, Seul Bi ne voyait son frère que d’une seule et même manière depuis l’accident : comme un combattant, un valeureux guerrier qui a su se relever, avancer et reconquérir. Le chemin a été dur, semé d'embûches mais Seul Woong a réussi. Avec force et résilience, il a pu se reconstruire, apprendre à composer avec ce nouveau corps, qui ne lui rend pas la vie facile tous les jours. Alors comment Seul Bi pourrait le voir autrement ? Même s’il souffre, même s’il ne lui dit pas tout, elle aura toujours la même image de son frère. Parce qu’elle était là depuis le début, elle était là quand il a failli mourir en plein milieu de la route. Il aurait pu quitter le monde à ce moment-là, mais il ne l’a pas fait. Et chaque jour, intérieurement, la cadette le remercie. Pour ne pas avoir abandonné. Pour avoir continuer d’avancer. Pour vivre, tout simplement. Ce week-end, c’était aussi un moyen de lui dire tout ça avec autre chose que des mots. Car parfois, Seul Bi pouvait être timide, pudique, face à son frère vis-à-vis de tout ça, craignant de faire revivre, de leur faire revivre des traumatismes.

Pour l’heure, leurs traumas respectifs ne sont pas dans les parages, bien au contraire. Ils sont loin d’eux. Ce qui est présent, sans aucun doute, c’est une forme de gêne, de culpabilité, aussi bien du côté du frère que de la sœur. Mais Seul Woong, comme à son habitude, arrive à désamorcer cette atmosphère quelque peu étrange. Par une phrase, un sourire. Juste en étant lui. Le roc de Seul Bi. Sans lui, elle ne sait pas où elle serait aujourd’hui, ni ce qu’elle ferait. Elle était, est et sera toujours reconnaissante envers lui, pour ne pas l’avoir abandonné. Ce week-end était encore une forme de reconnaissance, quant bien même elle ne l’a pas préparé avec cette pensée en tête de liste. Non, elle voulait qu’ils passent un bon moment entre frère et sœur, qu’ils se détendent, découvrent ensemble un nouvel endroit qu’ils ne connaissaient pas. Un peu comme quand ils sont partis en France.

Seul Bi pourrait écouter son frère parler pendant des heures, en le regardant sans rien dire. Elle aussi avait dû subir les mêmes cours de management que lui et pourtant, il gagnait contre elle haut la main dans ce domaine. Mais bon, elle le battait dans d’autres, alors elle pouvait bien lui laisser ce domaine-là. C’est sans doute pour ça qu’elle n’a pas vu le trajet en taxi passé et elle avait l’impression d’avoir à peine battu des cils qu’ils étaient déjà en train de prendre possession de leur chambre pour leur séjour. Que Seul Bi savait déjà trop court. Alors ils devaient profiter de chaque instant à fond, et c’est pour ça que même si elle s’appliquait à bien ranger ses affaires, et celles de son frère par la suite car il ne semblait pas motiver à le faire lui-même, elle le faisait avec un certain empressement. Parce qu’elle voulait découvrir au plus vite les moindres recoins de cet endroit, profiter de toute leur palette de soins et de détente, tout en gardant un temps pour se promener et manger. « Tellement irréprochable que tout le monde veut le même ! » répond-t-elle dans un rire taquin avant de percuter sur autre chose : « Hé ! Tu insinues que je n’ai pas de forces ? Je te rappelle, très cher, que je t’ai déjà porté et que je me suis relativement bien débrouillée ! » dit-elle en lui tirant la langue. Elle le suit du regard avant de soupirer. Il devait être né clown, ce n’était pas possible autrement. « Des fois je me demande si toi aussi tu n’es pas un enfant adopté… » marmonne-t-elle dans sa barbe avant de s’attaquer à la valise de son frangin. Elle s’arrête rapidement dans sa tâche quand ce dernier expose sa proposition, des étoiles dans les yeux. « Je ne suis on ne peut plus d’accord avec cette proposition ! Ca fait tellement longtemps que je ne me suis pas fait masser que j’ai l’impression que tous mes muscles ont fondus ensemble. » Alors elle termine rapidement de défaire la valise de son frère avant de le rejoindre pour récupérer son verre et trinquer avec lui. « A nous deux Oppa » dit-elle dans un doux sourire, avant de prendre une gorgée de ce délicieux cocktail. « On a encore rien vu et j’ai déjà envie de rester ici pour toujours, tu crois que c’est grave ? »

Il profite de cet instant qui se veut suspendu. Magique et déconnecté. Ce week-end à deux dans un endroit paradisiaque. L’idée est bonne, l’attention tout à fait honorable et même si une ombre était venue entacher le magnifique tableau qui se composait au fil des minutes qui s’écoulait, Seul Woong l’avait chassé d’un sourire franc. La tempête qui avait secoué son cœur avait vite fini par s’apaiser. Son humour prenant vite le dessus, il s’évertue à faire rire sa petite sœur. Il en est toujours ainsi avec Seul Woong. Pas rancunier pour un sou. Le cœur sur la main et le sourire aux lippes, c’est une bouille enfantine qui tire ses traits angéliques. Il a beau flirter avec la quarantaine, il paraît dix ans de moins. Un atout peut-être ? Pourtant il n’use jamais de ses charmes. L’amour, il le garde pour plus tard. Le travail et ses amis lui suffisent amplement. Il n’a pas le temps pour cela. Pas le temps tout court.

Un rire retenu lui échappe alors qu’il pense à sa sœur qui le bassine depuis des mois pour savoir ce qu’il souhaite faire pour son anniversaire. « 40 ans ça se fête ! ». Evidemment. Mais il est tellement pris Seul Woong. Tellement qu’il serait capable d’oublier d’aller à sa propre fête d’anniversaire. Chose qui lui est déjà arrivée, alors… Un restaurant avec Hyeon Min, Seol Ha et Seul Bi fera sûrement l’affaire. Il offre un sourire à sa cadette, alors qu’elle s’active devant lui, agissant comme un tsunami en rangeant leurs affaires. Son envie de faire le clown le rattrape alors et c’est avec une certaine nonchalance qu’il se moque d’elle. Je suis bien d’accord avec toi ! Tout le monde veut le même mais personne ne m’égal ! tente-t-il en retenant son rire. Alors qu’il se redresse fièrement dans son fauteuil, il observe la pâtissière tiquer, ce qui provoque un nouveau rire chez lui.   Malheureusement non, je suis bien un Lee ! J’ai juste beaucoup plus d’humour, d’ouverture d’esprit et de talent qu’eux ! dit-il en haussant les épaules. Qu’il le veuille ou non c’est ainsi ; il est né Lee, ses parents restent ses parents mais pour Seul Woong tout cela est superflu :  La famille ce n’est pas les liens du sang, la famille c’est bien plus que ça. Là où certains voient la génétique comme le plus important, pour lui c’est l’affection qui prime. Seul Bi est sa famille, Hyeon Min est sa famille, même Isaac pourrait s’apparenter à un cousin râleur ! Pour Seol Ha c’est encore autre chose…

Alors qu’il sort de ses pensées il reporte son attention sur l’ancienne Idol à qui il tend un verre. Frère et sœur trinquent ensemble avec pour promesse silencieuse un nouveau sourire. Grave ? Non. Compréhensible ? Oui ! Il faut dire qu’on en a bien besoin tous les deux. Depuis combien de temps on a pas fait cela ? Se faire une escapade à deux, je veux dire. Depuis Paris ? dit-il en réfléchissant à voix haute. Oh oui depuis des années au moins. Son regard se fait doux alors qu’il temps une main vers celle de sa petite sœur pour la serrer dans la sienne. Merci pour cette attention Seul Bi. lui dit-il avec un clin d'œil. Et si tu n’y vois aucun inconvénient je vais appeler l’accueil pour nous réserver un massage de suite ! continue-t-il en se dirigeant vers le combiné téléphonique. Après un bref échange, il raccroche plutôt fier de lui. Si mademoiselle veut bien me suivre, nous avons rendez-vous au rez-de-chaussée avec nos masseuses. Je me suis renseignée sur la brochure et il y a un massage adapté à mes douleurs musculaires. Je devrais essayer, rien que pour voir si cela peut me soulager… fini-t-il d’une voix un peu moins assurée. Voilà que pour la première fois il aborde le sujet des douleurs devant Seul Bi. Petit à petit.

Seul Woong était une magnifique personne et un frère en or. Même s’il était agacé ou contrarié, il ne restait jamais très longtemps dans des dispositions négatives. Voulant à tout prix faire sourire les gens autour de lui, les rendre heureux. Seul Bi s’en questionnait parfois. Et si son frère s’oubliait à son propre détriment ? Elle ne pensait pas cela possible, Seul Woong prenait soin de lui, et ce bien avant l’accident. Mais depuis ce jour, elle avait développé de nouvelles inquiétudes envers lui, mais aussi une nouvelle force protectrice à son encontre. Elle n’avait aucun mal à le reconnaître : elle sortait les griffes plus vite que son ombre dès qu’il s’agissait de Seul Woong.

Mais pour l’heure, aucune raison de sortir les griffes, bien au contraire. Seul Woong et elle allaient bien, et ce week-end s’annonçait fantastique. Massages, sources d’eaux chaudes, ballades, restaurants, grasse matinée… Le luxe qu’ils n’ont plus eu depuis quelques mois, quelques années même à cause de leur vie professionnelle qui leur prend tout leur temps et toute leur énergie. C’est parfois à peine s’ils arrivent à se voir en temps normal, alors qu’ils vivent sous le même toit. C’est bien pour ça que ces derniers temps, Seul Bi dormait plus souvent avec lui, quand bien même elle ne faisait pas de cauchemars. Juste pour avoir un peu de temps avec lui. « En même temps, c’est difficile ! Tu as quand même battu tous les pronostics ! » rétorque-t-elle dans un léger sourire. Elle comme lui avait mis longtemps avant de pouvoir s’amuser du handicap de Seul Woong. Ce n’était pas quelque chose qu’ils faisaient souvent, mais de temps en temps, ça avait un effet libérateur. Tout en posant leur valise dans un coin de la chambre, elle acquiesce doucement aux paroles de son frère. Seul Woong était effectivement bien différent de leur parent, et heureusement. Si lui aussi lui avait tourné le dos, elle ne s’en serait jamais remise. « Tu as vu que l’entreprise à enfin dépasser la crise engendrée par la pandémie ? J’ai vraiment cru qu’Ils n’allaient pas y arriver. » Même si rien n’est impossible pour leurs parents. Après tout, ils ont bien rejeté leur fille après l’avoir adoptée.

Le liquide frais et rafraîchissant coule dans sa gorge et lui donne vraiment l’impression d’un début de vacances. Toutes les tensions qu’elle avait quittent son corps, son esprit déconnecte de sa vie à Gwangju et elle se sent enfin présente à 100% dans ce lieu qui à l’air magique. La pâtissière se plonge dans ses souvenirs avant d’hausser les épaules. « Honnêtement ? Je crois que ça fait depuis Paris… Quoique, peut-être quand tu étais venu me rendre visite pendant mon apprentissage et qu’on avait passé quelques jours dans les montagnes françaises ? Mais ça fait un moment ça aussi. » Un doux sourire aux lèvres, elle glisse sa main dans celle de son frère et hoche doucement la tête. « De rien. Je suis heureuse d’être ici avec toi Oppa. » Légèrement émue, elle n’a pas le temps de se laisser submerger par ses émotions que Seul Woong change de sujet. Elle rigole alors et elle le laisse partir vers le téléphone, en profitant pour finir son verre et partir préparer son sac. Elle s’arrête dans ses mouvements quand elle entend ce que son frère dit. Elle ferme fort les yeux avant de les rouvrir et de se tourner vers son frère, faisant quelques pas pour s’asseoir sur ses jambes et se blottir dans ses bras. « Merci… Merci de m’en parler… Merci d’essayer… » Elle était terriblement fière de lui. Mais elle ne pouvait plus rien dire, émue par la situation. Elle reste un moment ainsi, sans bouger, sans parler, juste en respirant au rythme de son aîné. Et quand elle se sent mieux, elle vient l’embrasser tendrement sur la joue, se relève et va dans la salle de bain. « Je mets juste mon maillot et je viens ! Tu ne voudrais pas mettre le tiens aussi ? Ce sera plus pratique je pense. » En deux temps trois mouvements, elle est prête à rejoindre le rez-de-chaussée, maillot sous ses vêtements et sac à son épaule. « C’est parti !» s’exclame-t-elle d’un ton enjoué. Elle s’assure de récupérer la carte de leur chambre avant de quitter cette dernière et de prendre le chemin de leur destination. « Tu veux que je te pousse ? » demande-t-elle à son frère tout en lui jetant un coup d'œil.  

Son regard se fait fuyant durant quelques secondes. Cherchant une accroche qu’il finit par trouver à l’extérieur. Le ciel comme une bouée de sauvetage accroche ses iris alors qu’il se plonge dans son océan céruléen. Ses pensées s’évadent alors que Seul Bi se glisse dans la salle de bain pour enfiler son maillot. Il bat des cils se posant des questions sur les gouttes de pluie. Il s’était toujours demandé comment elles tombaient en trébuchant les unes sur les autres, en se brisant les jambes et en oubliant leur parachute quand elles dégringolaient en direct du ciel vers une fin incertaine. Comme quelqu’un qui vide ses poches sur la terre et se moque de savoir où leur contenu va tomber, de savoir que les gouttes de pluie éclatent quand elles heurtent le sol, qu’elles se fracassent quand elles chutent, que les gens maudissaient les jours où les gouttes osaient pianoter sur leur porte. Sourire triste qui parcourt ses lippes, le voilà qui se surprend à se comparer à une de ses gouttes de pluie. Brisée, heurtant le sol... Son regard fuit en direction de la salle de bain. L’air vint emplir ses poumons alors qu’il tente tant bien que mal de se ressaisir. Ses dents viennent meurtrir sa lèvre inférieure alors que les remords le rongent déjà. Il ne veut pas gâcher ce week-end. Ni même laisser ses états d’âme prendre le dessus sur ce caractère fort qu’il affiche en toute circonstance. Non. Il ne faut pas.

Nouvelle inspiration qui tend à l’apaiser. Une fois blanc, une fois noire, ses humeurs se bousculent trop violemment ces derniers temps. D’une poigne habile, il se dirige vers sa valise afin d’attraper son maillot de bain. Ses gestes sont précis, se répètent presque machinalement. Son indépendance, il y tient. Il s’est battu dès le premier jour pour l’acquérir et même si parfois cela restait difficile, il est fier de ce qu’il est devenu. Il ne lui en faut pas plus pour se reprendre. Seul Bi reste la seule personne pour qui il serait prêt à tout. Même à bousculer ses barrières comme il le fait à cet instant. Alors que sa sœur réapparaît dans la chambre, il ne peut s’empêcher de la comparer mentalement à une tornade. Un rire s’échappe de sa gorge alors qu’il se dirige tout naturellement vers la porte. « Non merci, il me faut bien entretenir ce corps d’Appolon. Traîner ma vieille carcasse fait partie de mes exercices quotidiens » lui répond-t-il tout simplement avec un clin d’œil.

Alors qu’ils rejoignent le rez-de-chaussée l’architecte ne peut s’empêcher d’admirer la beauté des lieux. Déformation professionnelle. Les bâtisses resteront toujours sa plus grande passion. Tu as prévu un programme bien spécifique où sommes-nous libres de nos mouvements ? demande-t-il tout en évaluant les activités qui pourraient leur convenir. A peine a-t-il eu le temps de finir sa phrase que voilà déjà qu’une hôtesse se présente à eux pour les conduire vers l’espace massage. Si au premier abord Seul Woong ne semble pas à l'aise, il se détend très vite lorsque sa masseuse commence à appliquer ses soins sur son corps meurtri. Ses cicatrices, il n'a pas l’habitude de les montrer, même à Seul Bi, alors il reste très pudique, tentant de ne pas trop lui transmettre ses angoisses. Son regard croise le sien, un léger sourire sur les lèvres et sans un mot il lui fait comprendre que tout va bien. Un truc de frère et sœur... Leur truc.

« Profitons de l’instant présent Seul Bi. » dit-il en fermant les yeux. Les traumatismes, les cicatrices et les cauchemars n’ont qu’à rester à Gwangju.

Ce temps seule dans la salle de bain est finalement arrivé au bon moment : elle commençait à se demander si elle a eu une bonne idée, de venir ici avec Seul Woong. Elle avait sauté sur l’occasion, parce qu’ils ne se sont pas retrouvés juste tous les deux depuis un moment, mais aussi parce que quand elle a vu que les eaux thermales d’ici sont bonnes contre les douleurs musculaires, elle s’était dit qu’elle ne pouvait pas laisser passer ce séjour. Mais dans son plan si parfait, elle n’avait pas pris en compte un détail pourtant important : bien qu’ils allaient être seuls la plupart du temps, bon nombre de prestations dans ce genre de lieu doit se faire avec des professionnels : des masseurs, des kinés, des hôtes et autres. Et ça, c’est un détail qu’elle a tout bonnement oublié. Ce qui veut dire que sans le vouloir, elle force son frère à faire quelque chose. Quelque chose de dur car même à elle, il n’a jamais montré son “nouveau corps”. Et là, il va devoir montrer ses cicatrices et ses traumatismes à de parfaits inconnus. Quand bien même ils doivent en avoir vu d’autres. Sans le savoir, en même temps que son frère, elle se mordille la lèvre et baisse la tête. La tristesse et la honte s’emparent d’elle. Même si elle sait qu’elle ne doit pas se laisser aller par ses émotions négatives. Elle peut montrer et prouver à son frère que ce week-end peut être magnifique. Et magique. En enfilant son maillot, elle retrouve quelque peu son assurance et sa sérénité. Elle sort de la pièce et offre à Seul Woong un grand sourire doublé d’une énergie débordante : pour lui, elle ne doit pas se laisser abattre.

Elle rit à la boutade de son frère. Bien que, honnêtement parlant, il est en forme physiquement parlant. Ce n’est pas parce qu’il est en fauteuil qu’il se laisse aller. Alors elle marche à ses côtés, comme à son habitude, une main sur son épaule. Seul Bi a toujours été une personne très tactile, avec sa famille et ses amis. Mais avec Seul Woong, depuis l’accident, elle l’est encore plus. Comme si le fait de ne pas le toucher le ferait disparaître. “Etant donné que je te connais plutôt bien, je n’ai prévu aucun programme parce que je sais que tu aurais soupiré et que tu aurais, sans doute, remis certains de mes choix en question, lui répond-t-elle en tirant la langue. Blague à part, la vraie raison, c’est surtout que je veux qu’on profite à fond de ce week-end, et on aurait pas pu le faire si tout était planifié en avance”. Elle avait envie qu’ils décident ensemble de ce qu’ils feront.

Installée sur la table de massage, la pâtissière n’arrive pas à se détendre durant les premiers instants, angoissée à l’idée de comment se sent son frère. Elle ne le quitte pas du regard, et manque de sursauter quand il la regarde à son tour. Et puis elle remarque qu’il sourit et elle comprend que ça va. Alors elle lui sourit en retour, hoche doucement la tête à ses propos et ferme les yeux à son tour, se laissant porter et bercer par la douce musique et les mains expertes de l’hôtesse. Elle se laisse tellement aller qu’elle doit se faire réveiller à la fin du soin. Encore une preuve qu’elle avait besoin de repos. Elle se frotte doucement les yeux avant de croiser le regard de son frère. Elle soupire et d’une petite voix lui dit : “un mot et je t’abandonne ici.” Elle se doutait que Seul Woong ne s’était pas endormi comme elle. Après s’être parfaitement réveillée et étirée, elle remercie sa masseuse et rejoint son frère, profitant de cette première journée pour faire pas mal de choses. Le temps passe vite quand on passe de bons moments avec son frère adoré. Elle se retrouve désormais en étoile de mer sur le lit, regardant le plafond sans le voir, récupérant de cette journée intense alors que Seul Woong est sous la douche. Patiemment, elle attend son tour, avant de se préparer pour aller dîner. Un dîner des plus exquis, qui régalent leurs papilles. “Alors Oppa, quel est ton bilan de cette première journée ?” lui demande-t-elle en mangeant son sorbet.  

La pesanteur qui oppressait sa poitrine quelques minutes plus tôt l’abandonne. Il y a des choses que le frère et la sœur ont décidés de taire depuis beaucoup trop longtemps et ce pour des raisons qui lui échappent. En y repensant il voulait bien faire. La protéger de cet épisode traumatique pour au final se rendre compte que c’était lui qu’il voulait protéger du regard qu’elle aurait pu lui rendre en apprenant pour ses douleurs musculaires. Ce week-end, il le sait, les aidera à avancer vers une autre étape de leur relation fraternelle. Une relation plus légère, balayant les non-dits qui planent au-dessus de leurs êtres depuis des années. Avec le temps il avait appris que le calme est beaucoup plus déstabilisant que la colère, qu’un sourire désarme plus qu’un visage froncé et qu’un silence, face à une méchanceté, est un cri qui fait trembler la terre. C’était cette philosophie qu’il avait choisi d’adopter face aux drames qui l’avait frappé, cette philosophie qu’il ne voulait pas imposer à celle qui restait l’être le plus important de sa vie.

Il inspire lentement se détendant sous les doigts de la masseuse qui délie un à un ses muscles endoloris. Son dos lui fait un mal de chien et il profite au maximum des pressions qu’elle exerce sur les parties de son corps qu’il sent encore. C’est fou ce que les soins de l’oncheon divergent de ceux qu’Hana pratique sur lui depuis déjà quelques années. Bien sûr ils n’ont pas le même but et c’est aussi ça qui les différencient. Voilà longtemps que Seul Woong s’évertue à recevoir des thérapies visant à maintenir son renforcement musculaire alors qu’il néglige la partie détente qui pourrait l’apaiser. Ses yeux se posent sur Seul Bi à ses côtés qui ne tarde pas à s’endormir. Un sourire étire ses lippes alors qu’il songe à la boule d’énergie que peut-être sa sœur autant qu’elle peut-être la définition du mot « cosy ». Il admire ce côté-là d’elle, lui qui n’arrête jamais de travailler… ou trop peu. A dire vrai les seules sorties qu’il s’autorise sont celles avec ses quelques amis, balayant d’un revers de la main les possibilités de rencontrer de nouvelles personnes, de nouveaux amours…

Ses pensées fusent alors que le massage se poursuit pendant une bonne heure ou il ne manque pas de rester silencieux. Une forme de respect pour les praticiennes ainsi que pour Seul Bi qui, de toutes évidences, a un besoin incontesté de se reposer. Lorsque celle-ci se réveille enfin il ne peut réprimander un sourire moqueur. Je n’ai absolument rien dit sleeping beauty ! s’offusque-t-il avec exagération. Loin de moi l’idée de faire un commentaire sur l’énorme sieste que tu viens d’effectuer ! fini-t-il avec un grand sourire. La charrier est définitivement son occupation PRE-FE-REE.

Le temps passe et les souvenirs restent. La fin de journée frappe déjà à leur porte alors que Seul Woong se retrouve sous une douche à se remémorer le fil de ce jour mémorable. Après quelques minutes le voilà prêts à descendre pour déguster un bon repas, pendant lequel il prend plaisir à échanger avec sa sœur. Parfaite ! C’était une journée parfaite ! Merci Seul Bi, je pense que l’on en avait besoin autant l’un que l’autre. dit-il sincèrement. J’espère que dorénavant on prendra le temps toi comme moi de passer des instants comme ceux-là. Il est vrai que l’on est des personnes relativement prises toi et moi mais… Cette journée m’a fait prendre conscience que l’on a tendance à s’oublier. continu-t-il en prenant une nouvelle bouchée de fondant au chocolat. On devrait se faire la promesse de passer plus de temps ensemble ! s’exclame-t-il en lui présentant son petit doigt comme lorsqu’ils étaient enfants.

Seul Bi avait avancé depuis les années. Elle évitait de regarder en arrière, même si parfois cela n’était pas possible, notamment parce qu’elle habitait dans la ville de l’accident et qu’elle devait, par moment, se rendre sur les lieux qui avaient été le théâtre de l’un des plus grands chamboulements de sa vie. Son frère avait été le plus blessé des deux, mais Seul Bi gardait des traces indélébiles, dans son cœur mais dans son esprit aussi. Bien qu’elle allait bien, l’accident était toujours dans un petit coin de sa tête. Elle avait organisé ce voyage pour leur permettre de se retrouver car même s’ils vivaient ensemble, ils étaient pris par leur travail respectif. Elle avait eu envie de soulager Seul Woong, autant physiquement que mentalement, mais elle se sentait coupable de ne pas avoir pensé que cela ne serait pas facile pour lui. Elle avait presque oublié à quel point il était pudique et que son corps était couvert de cicatrices. Notamment, parce que Seul Woong les lui cachaient. Alors qu’elle était sa petite sœur. Mais d’un autre côté, ce week-end va peut-être être l’occasion de parler de sujets complexes, des sujets qu’ils évitent autant l’un que l’autre. C’est peut-être le début d’une nouvelle ère dans leur relation, qu’elle sera encore plus belle et plus forte après ce week-end.

Seul Bi ne se souvient pas trop de la séance de massages. Elle s’est rapidement endormie, épuisée par sa vie de pâtissière qu’elle mène à 10 000 à l’heure, mais ça lui plaît et elle ne changerait pour rien au monde. Quand elle se réveille, elle est complètement requinquée et reposée. Elle sent son corps plus détendu que jamais, que le stress accumulé s’est évaporé. Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas sentie ainsi. Est-ce que ça lui était même arrivée un jour ? Elle n’arrive pas à s’en souvenir. Elle fusille son frère du regard. Elle s’était bien doutée qu’il allait la charrier, mais le pire, c’est qu’elle ne savait pas quoi lui rétorquer. Son cerveau était encore dans les limbes du massage qu’elle venait de recevoir. “Tu sais, dormir c’est quelque chose que tu devrais faire de temps en temps. Genre plus que ce que tes quelques heures habituelles. Tu n’en serais que plus beau !” Ce n’était vraiment pas original, mais elle n’avait rien de mieux en stock. Tant pis, elle se rattrapera à un autre moment.

Le repas se passe de façon agréable. Cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas partagé un repas dans le stress ou à la va-vite. Elle se note dans un coin de sa tête que c’est quelque chose qu’ils vont devoir réinstaurer à nouveau. Ce week-end va vraiment leur faire le plus grand bien. Et même d’une façon qu’elle ne soupçonne pas encore. Elle écoute son frère avec attention, heureuse d’entendre ses paroles. “Je suis soulagée que tu aies aimé cette journée. Je suis sûre que demain va être aussi exceptionnel !” Et encore une fois, elle a la preuve qu’ils sont vraiment frères et sœurs, quand bien même ils ne sont pas liés par le sang : “je pensais exactement la même chose. Rien qu’un repas sans stress et en prenant le temps de le savourer comme ce soir, on a plus eu l’occasion de le faire depuis un moment. J’aimerais vraiment qu’on passe plus de temps ensemble, comme avant. Tu sais… Je pense que je vais fermer la pâtisserie un jour dans la semaine. Pour pouvoir décompresser un peu, pour lever le pied, pour me retrouver et qu’on puisse se retrouver un peu.” Elle avait cette décision en tête depuis un moment maintenant. Et ce premier jour de week-end l’avait convaincu que c’était la bonne chose à faire. “Passons plus de temps ensemble oui !” Elle croise son petit doigt avec celui de son frère dans un grand sourire. Elle le serre doucement en regardant Seul Woong dans les yeux. “Je t’aime Oppa.”

C’est cette scène qu’elle voit dans son rêve. Après le repas, ils sont retournés dans leur chambre et elle s’était rapidement endormie. Ils avaient deux lits séparés, mais Seul Bi avait réaménagé la chambre pour qu’ils n’en forment qu’un et qu’ils dorment ensemble. Si déjà, autant qu’ils dorment ensemble sans qu’elle le rejoigne dans son lit à cause de cauchemars et d’angoisses. Mais on ne change pas une équipe qui gagne, et son rêve prend doucement une tournure plus dramatique : après les beaux moments, elle voit Seul Woong s’éloigner. Elle court après, mais il s’éloigne de plus en plus. Elle l’appelle mais ne l'entend pas. Il finit par se retourner, son casque de moto sur la tête et il lui dit [color=peru]“c’est de ta faute”[color=peru], avant de se faire percuter par le véhicule qui a causé l’accident. Seul Bi hurle dans son rêve, sans doute dans la réalité aussi, et se rapproche du corps de son frère. Le casque avait disparu, ses vêtements également. Seul Bi voit son corps nu et l’étendu des blessures. Hyeon Min n’est pas présent, il n’est jamais là dans ses cauchemars. Parce qu’une fois n’est pas coutume, Seul Woong rend son dernier souffle et Seul Bi se redresse soudainement, prise d’une violente crise de panique.

Pourquoi maintenant ? Elle ne voulait pas gâcher ce week-end si important pour eux.