Quelque chose ne va pas, c'est une certitude...J'ai senti l'odeur dès qu'il est entré dans le bloc, son regard légèrement brillant ne fait que confirmer mes suppositions. J'observe autour de moi, cherchant dans le regard de mes collègues le moindre signe confirmant que je n'ai rien imaginé. Les regards se croisent en silence… Personne n'ose rien dire, bien-sûr, le Professeur Park n'est pas n'importe qui. Il vient de Séoul m'a-t-on dit. C'est un ponte de la chirurgie orthopédique. Un homme brillant, diplômé de je-ne-sais-quelle université américaine. Bref, un grand homme que tout le monde se doit de respecter… D'accord mais… Le Professeur Park s'apprête à opérer un patient déjà endormi sur la table et… Bon sang, il est ivre.

Mes yeux ahuris rencontrent alors ceux du docteur Kim, l'anesthésiste. C'est le seul ici à pouvoir intervenir et, pourtant, il ne dit rien. Il a sans doute remarqué mon incompréhension, ma révolte silencieuse et il détourne simplement les yeux. C'est quoi ce bordel ?

Tout le monde se met en place. Tout le monde agit comme si de rien n’était. C'est incroyable… Impensable même ! Ma collègue prépare le patient, elle le badigeonne de bétadine, pose le champ stérile… Et voilà que l'ivrogne me demande un scalpel.

– Non, professeur… dis-je d'un ton sec. Je suis navrée, mais je ne peux pas vous laisser faire ça.

L'homme au regard vitreux me dévisage… Sans rire, si un regard pouvait tuer, je serais déjà morte. Et voilà qu'il gronde, qu'il m'insulte de tous les noms… Personne ne prend ma défense, évidemment. Après un laïus sur le respect dû aux aînés et aux éminents supérieurs, je décide tout bonnement de quitter le bloc. Si je ne peux rien faire contre lui, alors je dois absolument trouver quelqu'un qui le peut.

Alors je cours dans les couloirs à la recherche de cette fameuse personne. Je m'écoute trois fois expliquer la situation aux quelques chirurgiens rencontrés. Ma voix implorante me fait horreur… Tant pis. Néanmoins, personne ne me prend au sérieux. Le professeur Park bénéficie d'une excellente réputation. Un homme comme lui ne peut évidemment pas se rendre au bloc en étant alcoolisé, c'est impensable, je dois rêver.

–Connerie, je grogne alors que mon dernier espoir me tourne le dos.

Néanmoins, s'il ne semble pas m'avoir entendu, je suis certaine de ne pas m'être montrée suffisamment discrète. Le médecin qui vient de passer est encore un interne. Sa voix à lui ne vaut pas mieux que la mienne… Mais on le dit caractériel. Enfin, ça, ce sont les bruits de couloirs. Les mêmes qui ont affirmé qu'il avait une relation inappropriée avec la sœur ou la mère de l'un de ses patients. C'est navrant de constater que les gens parlent dans certaines situations, mais pas dans d'autres.

Je l'observe un instant, j'hésite. Devrais-je tout lui raconter à lui aussi ? C'est quoi son nom déjà ? J'essaie de lire son badge, mais son stéthoscope descend beaucoup trop bras et cache l'inscription. Mince. Je soupire, totalement indécise. Je déteste cette impuissance… Alors, les poings serrés,  je grogne une fois de plus.

– Fait chier …

Revenir travailler lui faisait sincèrement du bien, tout comme revenir à l’hôpital en tant que médecin, et non plus en tant que patient. Jae In avait presque cru qu’il ne se remettrait finalement jamais de cet incident, cependant avec de la patience et de la persévérance, il y était parvenu. Il savait que sa condition ne s’arrangerait pas en claquant des doigts, toutefois n’ayant pas pour habitude de s’arrêter de travailler, ces derniers mois lui avaient semblé être terriblement long. Cela faisait déjà quelques semaines qu’il était revenu, néanmoins le garçon ne paraissait pas s’y faire, même s’il avait rapidement retrouvé les vieilles habitudes. Il n’avait pas peur d’enchaîner plusieurs gardes de suite, il n’avait pas peur de séjourner à l’hôpital pendant des jours et des jours, parce que ses patients passaient avant tout le reste. Il avait beau avoir un sale caractère, ne pas s’entendre avec ses collègues, il aimait son métier, et c’était le pourquoi il se démenait autant pour ses patients. Le pourquoi aussi il fut intrigué par la conversation qu’il venait d’entendre, à cause d’une employée du bloc qui faisait des siennes dans les couloirs. Jae In n’était pas certain d’avoir discerné l’entièreté de la situation, néanmoins de ce qu’il avait compris, quelque chose se passait au bloc opératoire. Et ça le faisait toujours autant halluciné de constater que personne ne semblait vouloir réagir. Lui aussi avait souvent eu affaire à des cas comme ça, des cas où ses collègues ne désiraient pas intervenir, par peur de potentiels problèmes à venir. Mais Jae In n’était pas comme ça ; on ne lui retirerait pas son poste pour avoir osé dire ce qu’il pensait. Quand un patient dépassait les bornes, il n’hésitait pas à agir. Et c’en était de même, lorsqu’il s’agissait d’un membre du personnel ; la raison pour laquelle on l’appréciait moyennement dans cet hôpital. Parce qu’en plus d’être désagréable, de ne pas être sociable et d’être soit disant arrogant, il ne craignait pas l’adversité. On ne comptait plus le nombre de fois où le garçon avait tenu tête à quelqu’un de plus âgé que lui, quelqu’un avec plus d’expérience que lui, ou encore un supérieur. S’ils ne faisaient pas bien leur travail, n’était-ce pas normal de les reprendre ?

Et c’était pour cette même raison que, bien qu’il n’était pas sûr d’avoir correctement entendu, le médecin s’arrêta au niveau de la jeune femme, la fixant un bref instant de ses yeux sombres. « Un problème ? » L’interrogea-t-il, la neutralité s’écoutant dans sa voix, assortie à la froideur et l’intensité de son regard. Jae In n’était pas un bon Samaritain, il ne cherchait pas spécialement à aider cette demoiselle, cependant si la vie d’un patient était en jeu, il ne s’imaginait pas rester les bras croisés.