Vous savez, le problème des insomnies, c’est qu’on entend tout.
On entend le chien qui aboie à l’autre bout de la rue. On entend la chasse d’eau de l’appartement au-dessus. On entend les tic et tac de l’horloge et on entend quand son père ramène quelqu’un. On entend ce qu’ils font. Ouais, on l’entend, le tapage nocturne.
Alors quand elle est descendue prendre son petit déjeuné ce matin après s’être longuement préparé, elle n’avait pas beaucoup d’heure de sommeil au compteur. Heureusement qu’elle en a l’habitude ? Cela évite l’humeur de chien à ceux qui doivent la côtoyer, ça lui évite de confondre les kiwis avec les œufs et la cocaïne avec la farine. Quelle idée de mettre ça dans une jarre aussi ?
Tout ça pour dire que malgré la nuit agitée qu’elle a passée, bien malgré elle, elle était quand même de bonne humeur. Suffisamment pour se lancer dans la préparation de pancakes, suffisamment pour lancer pendant qu’elle les faisait cuire :
« Salut maman. »
C’est pas ta mère Saphyr et tu le sais parfaitement. Il n’y a qu’à voir l’immense sourire malin que tu offres à l’inconnue. T’es pas choquée de voir qu’elle a sûrement ton âge non plus. T’en as vu combien dévaler ces marches ? Tellement que tu n’as jamais été capable de les compter. La question que tu te poses c’est plutôt : dans quelle catégorie elle se trouve ? Celle qui prendra la fuite gênée en te voyant ? Celle qui te tapera la discussion en essayant de te convaincre et elle aussi, que ton père est l’homme de sa vie ? Ou encore celle qui s’indignera parce qu’elle ignorait ton existence alors qu’il a des photos de ton père et toi ici et là ? « Thé, café, jus de fruit ? » Elle avait l’air d’une vendeuse, Starbucks qui propose le menu en se redirigeant vers la poêle pour retourner ses pancakes. « Tu veux des pancakes ? »

Une nuit sympathique.
D’accord, une nuit très sympathique.
Inattendue et très sympathique.
Le genre de nuits qu’elle classera peut-être dans un top d’ici quelques années, allez savoir. On ne sait pas comment demain sera et tirer des pronostics sur l’avenir n’est définitivement pas la came de Jang Madee.
Se taper un mec qu’elle pourrait appeler papa en revanche, ça n’a pas semblé la déranger. Que ses enfants et ses petits enfants (sait-on jamais) la pardonnent, elle n’a pas su résister à la tentation. Et puis, le vin s’est bien affiné, le verre était tellement sympa qu’elle en a vidé la bouteille.
Quoi de plus normal qu’elle laisse la “bouteille” au lit ce matin et soit la première à émerger pour se glisser dans les fringues de la veille après une douche prise sans la moindre gêne.
En général, quand elle couche avec un homme sur un terrain extérieur, ça a tendance à marquer son territoire. ça inclut, de toute évidence un fais comme chez toi qui justifie qu’elle se rafraichisse après une folle soirée.

Rien d’étonnant donc à la voir débarquer en cuisine, les cheveux encore humides pour tomber sur… tiens, c’est marrant, elle n’a pas souvenir d’avoir engendré.
Ceci dit, la progéniture est hot… ça ne l’étonne pas tant que ça venant d’elle. C’est sûr, si un jour elle fait un bébé toute seule par accident, son enfant sera beau et aura une bouche à jouer de la flûte en grandissant.
Quoi ?
Oublions cette digression, les vapeurs de la veille sans doute, ça a tendance à flotter dans l’air un moment « Salut ma grande. » … la gêne non ?
Sentiment dont elle se sent étrangère. Elle est venue sur Terre pour conquérir le Monde, son attitude se doit de rester celle du conquérant qui fait de ses faux pas sa force « T’as pas école toi ce matin ? » … il y a un monde… pas si éloigné, et sans doute même très proche, où elles ont le même âge toutes les deux. En fait, à l’étudier un peu du regard, c’est même certain « Café, et pancakes bien sûr. Mais vite fait, maman travaille dans… oh une heure et dix sept minutes, j’ai donc du temps à te consacrer. » génial… vous allez pouvoir vous prévoir une petite journée shopping…
Dis Madee, tu veux pas juste fuir ? C’est ce que toute personne sensée dans ta situation ferait. En fait, ça fait même partie d’un genre de tradition ancestral alors…

Celles qui rétorquent sont de loin ses préférées mais alors celles qui jouent le rôle sont complètement inédites. Ce n’est pas pour lui déplaire ? Généralement, elle finit par les trouver ennuyante à mourir et préférer aller vaquer à ses occupations.
Cette maman là, elle lui offrait un nouveau scénario. Elle n’avait probablement pas assez de rides ou une absence trop flagrante de botox pour qu’elle puisse réellement l’avoir engendré. Cependant, elle ne respirait pas l’erreur de casting, elle était parfaite ? Alors le sourire s’élargissait à ses réponses jusqu’à prendre une légère moue censé reprendre l’étonnement, comme si elle était censée le savoir. « Mais maman je ne suis plus à l’école … J’ai été virée depuis que j’ai mis du LSD dans les gâteaux pour la fête de l’école … » Les paroles étaient à moitié vraies. Elle ne suivait plus de cours, certes, mais aurait-elle été capable de droguer à leur insu ses petits camarades ?
Je ne répondrais pas à cette question en l’absence de mon avocat.
La tête s’était hochée en l’écoutant passer sa commande. Les pancakes brièvement retournés pour cuire l’autre côté, elle avait profité de ce léger temps de répit pour lui servir un café. « Sucre, lait ? » La tasse lui était finalement tendue avant que ses paroles ne prennent une tournure ironique. « Une heure dix sept minutes, on va pouvoir en rattraper des choses ! On reprend à partir de mes dix ans ? » L’âge parfait si elle veut lui faire revivre sa pré et son adolescence tumultueuse ? Une heure dix sept pour faire écouler toutes cette période, c’est le rollercoaster le plus dangereux de tout les temps.
Les pancakes sont finalement disposés sur la table et les pots de pâte à tartiner les accompagnant également. « Que fait comme travail ma nouvelle maman ? Hôtesse de l’air ? Réceptionniste d’hôtel ? » Est-ce une coïncidence si il y a hot dans chacune de ses propositions ? Son père était un peu comme NeYo: Il avait fait le tour du monde, goûté un peu de tout. Elle ne serait pas surprise de trouver une avocate, une journaliste, une dresseuse de chien ou un mannequin au petit matin.
Elle s’était ensuite servie elle-même une tasse de café avant d’ajouter. « Ça n’a pas brisé tes études de m’avoir à … deux-trois ans ? T’as quand même était spoilée pour tes cadeaux de fête des mères en maternelle … » Est-ce qu’elle avait suffisamment d’instinct maternel à cet âge là pour partager son propre biberon avec sa fille ?
Cette conversation n’a vraiment aucun sens.

Le regard est fier, la connerie est grande « C’est vrai que t’as toujours eu un truc pour la pâtisserie. » pas très bonne la qualité d’éducation, c’est vrai. Un peu culottée quand on critique de son côté l’éducation dont on a “bénéficié”, mais allez, il y a un peu d’exagération et elle, elle n’a jamais fait rien de plus que quelques space cake au goût d’ailleurs fabuleux.
« Aucun des deux. » et le sucre, son café du matin sera noir pour lui assurer une journée productive « Merci trésor. » la tasse fumante est prise, elle en prend quelques premières gorgées prudentes pour ne pas se brûler… et non parce qu’elle pense aux traces d’un éventuel poison. Héroïsme ou naïveté, allez savoir.
Le cul est posé, aucun regard vers une potentielle issue de secours n’est lancé, et le début de journée semble s’engager vers un partage et un rattrapage de moments avec sa “douce progéniture”

« S’il te plait. Je meurs d’envie de savoir si tu as eu le rôle de Clochette pour la pièce de théâtre de ta classe. » oui parce que Wendy est insipide, si peu intéressante, et la demoiselle a déjà l’air de l’être un peu trop pour porter une chemise de nuit pour plusieurs actes.
« Respecte moi. Je suis thanatopractrice. Je suis plus dans le corps humain que dans les voyages. » ah ça pour être dans le corps humain, tu sembles avoir bien trop étudié celui de son père cette nuit.
Bouchée de pancake prise, compliment distribué « T’es une cheffe ! ça m’avait manqué les p’tit dej avec toi bébé. » bon… c’est gênant. Elle est gênante. Peut-on choisir la fuite ? « Et puis, t’as été ma plus belle réussite. Comme quoi, on a fait les choses bien avec ton père pour ça. Rappelle moi, on peut fumer à l’intérieur chez nous ? » c’est important ?
C’est plus poli.
Et puis, son père n’est pas mauvais, elle fait un peu partie de la famille, on ne sait jamais si elle refait un tour dans le coin.

Est-ce qu’on peut la garder ?
C’est probablement ce qu’elle aurait dit si elle avait dix ans de moins. Elle aurait dégainé ses yeux larmoyants, la lèvre qui tremble et les traits du chat potté à son père. Le genre de mine auquel il n’a jamais su dire non. Le genre de mine auquel il ne sait toujours rien refusé aujourd’hui ?
Il aurait probablement soupiré avant de lui expliquer qu’on ne peut pas adopter d’être humain comme ça. Légalement parlant du moins. Parce que Marc Dutroux l’a fait.
Elle n’envie rien à Marc Dutroux.
Dans le fond, Saphyr ne connait même pas Marc Dutroux.
C’était donc un café aussi noir que mon humour que Saphyr avait servi, souriant au compliment de sa nouvelle belle-mère préférée bien qu’il ne soit que fictif …

Peut-être même qu’elle aurait dû lui en servir deux-trois si elle tenait réellement à entendre le parcours de sa vie. Le LSD dans les gâteaux, c’est le genre de connerie auquel elle a habitué son entourage. Le genre de connerie pour lesquels on lui a foutu un garde du corps aux basques ou plutôt dirions-nous, un gardien de la paix ? « Evidemment que j’ai eu le rôle, la concurrence n’était pas prête. » Après tout, n’était-elle pas taillée pour ce rôle même à l’âge adulte ? Avec un attrait pour les fessées et une expertise pour les autres fé- dont Wu Jin pourrait témoigner.  « Ça a été le rôle de ma vie. On doit avoir gardé les cassettes.»
…
Du spectacle pour gosses les tordus.

Tiens, d’ailleurs, voilà un mot que les gosses ne savent pas épeler et Saphyr non plus. « Thanato-quoi ? » La confusion est réelle, le mot lui est déroutant. Un brin compliqué, jamais entendu ?
Pourtant, elle est plutôt bonne élève en coréen. Elle s’en sort parfaitement bien pour quelqu’un qui n’est arrivé qu’il y a trois ans mais alors ce mot là … elle séchait complètement. Elle avait beau s’user à chercher une profession impliquant d’aller dans les corps, elle ne parvenait pas à sortir la tête de ce grand flou. « Je suis désolée, c’est pas ma langue maternelle. » C’est Madee qui va voir flou si il fallait énoncer ses origines.

Mais ses pancakes ont au moins un succès international et ça, c’est beau. « J’ai appris avec la meilleure. » Elle avait saisi un pancake pour y étaler du caramel, afin de goûter de ses propres papilles avant de finir mine de réfléchir. Non pas pour savoir si elle avait le droit, plutôt pour savoir si il y a des interdits ici. « Non, il y n’a pas grands choses qu’on ne puisse pas faire ici finalement. » Ramener une chèvre, par exemple, c’était pas une bonne idée. Lancer une pool party en guise d’after non plus. Elle en avait déjà fait les frais par le passé.
Elle s’était assise sur le comptoir, prête à déguster sa propre cuisiner, tout en se décidant à cuisiner sa nouvelle belle-mère. « Et ma nouvelle maman s’appelle comment ? » Non mais parce que, si sa mère se décidait à se pointer, ça pouvait porter à confusion. Elle avait pourtant laissé un sourire guider ses lèvres. « T’es la première qui ne panique pas en me voyant. D’habitude, elles fuient précipitamment. Une fois, il y en a une qui avait carrément oublié ses vêtements. » Elle avait levé les bras pour lui montrer sa robe. « Tu l’aimes bien ? »