Woobin ne peut s’empêcher de se sentir un peu intrus, ici.

Depuis combien d’années n’est-il pas allé au cinéma? Il ne se trouve pourtant pas trop loin de là où il habite. Il n’a jamais été quelqu’un à snobber les derniers films sortis et lorsqu’il était plus jeune, il s’y rendait souvent, surtout pour échapper à l’ambiance familiale qui pesait affreusement sur lui. Et puis au bout d’un moment, il avait simplement arrêté. Se suffisant de l’ennui environnant son bureau, et son appartement. Ce n'est que depuis quelques temps que l'envie de sortir lui est venue à nouveau. D’essayer de nouvelles choses, et de trouver cette excitation qui, seule, était née à nouveau lorsque son regard s’était posé sur Nabi.

Puisqu’elle ne semble plus vouloir lui parler, il doit bien trouver autre chose pour pallier à son ennui. Alors qu’il se trouve au comptoir, c’est sans trop y réfléchir qu’il choisit un film d’horreur, un sourire étirant ses lèvres d’imaginer que peut-être, il l’y croiserait. Bien trop conscient qu’une telle coïncidence frôle les chances les plus minuscules, il ne s’empêche pourtant pas d’effleurer cette pensée qui, seule, fait naître les sentiments les plus agréables en lui.

Ayant envie de profiter du cinéma entièrement de la façon qu'il convient, Woobin s'échappe en direction de la boutique après avoir acheté son billet, pour y acheter un petit pot de popcorn sucré. Prêt à se rendre jusqu’à la salle, il ne s’arrête que lorsque, du coin de l'œil, il lui semble percevoir la silhouette de Nabi.

Sûrement rêve-t-il, ou s’est-il tant penché dessus qu’il croit le voir en réalité. Seulement, avant de mettre totalement l’idée de côté, il se laisse aller à relever le regard en direction de l’inconnue. Un sourire vient étirer ses lèvres, doucement. Ce n’est pas une illusion, c’est bien sa Nabi. Qu’importe qu’elle ait l’air en compagnie, son regard s’accroche uniquement à elle, analysant l’échange qui se produit devant ses yeux. Sa simple vision suffit à ce que son ventre frissonne, et à ce que ce sourire, insupportable, peine à quitter les coins de ses lèvres.

La joie, pourtant, laisse peu à peu la place à la circonspection. A analyser le comportement de l’homme qui semble être sa compagnie pour cette sortie, Woobin ne peut s’empêcher de sentir l’intérieur de son ventre se tordre de façon désagréable. Pourquoi agit-il de cette façon avec elle?... Et plus que ça, pourquoi Nabi se laisse-t-elle faire sans même rechigner? Reculant pour se cacher un peu plus loin dans la salle, il les observe acheter à manger sans que le sentiment ne se taise, posant son regard sur l’expression penaude de Nabi jusqu’à ce qu’elle disparaisse en direction de la salle.

Il lui faut donc faire un nouveau tour. A la caisse, pour acheter un nouveau billet, et à la boutique, pour s’emparer de…. trois petits laits fraise, même s’il doute que ce soit assez. Poussant la porte de la salle de cinéma, il cherche du regard le couple jusqu’à les trouver, soulagé qu’il n’y ait personne d’autre sur toute la rangée. C’est sans gêne qu’il descend les escaliers et se faufile, la pénombre tombée sur la salle pour la diffusion des publicités aidant son camouflage. S’asseyant juste à côté de Nabi, un soupir lui échappe. Enlevant le plastique de la paille, il l’enfonce dans le pack avant de le tendre en sa direction, penchant ses lèvres jusqu’à son oreille pour y murmurer.

“Tu m’as manqué.” lance-t-il sans gêne, laissant son souffle chaud effleurer sa peau. Et avant qu’elle ne fasse un mouvement trop brusque qui pourrait le blesser par inadvertance, il se redresse pour s’adosser contre son propre siège. Un long soupir s’échappe de ses lèvres à nouveau, pour exprimer son contentement. Il est heureux, ici. Il ne pensait pas la croiser réellement… Et maintenant qu’elle est dans son champ de vision, il doute pouvoir la laisser s’échapper.

Woobin lui laisse le temps de reprendre ses esprits, sans tourner le regard en sa direction. L’espace d’un petit moment, il fait mine de se concentrer entièrement sur l’écran, piochant quelques popcorn qu’il vient manger avec excitation. Puis, lorsqu’il juge qu’assez de temps s’est écoulé, il se penche en sa direction à nouveau. “Alors c’est ce genre de film, que tu aimes?...” vient-il demander en s’approchant si près que ses lèvres, à peine, effleurent son oreille. “... Je ne te pensais pas aussi niaise.” avoue-t-il finalement avec un sourire, reprenant sa place sans arriver à se départir de la joie qui habite son cœur. S’énervera-t-elle contre lui? Souhaitera-t-elle quitter son rendez-vous déplaisant pour fuir avec lui? Comment l’homme qui l’accompagne réagira même à son intrusion à laquelle il ne souhaite aucunement mettre fin, qu’importe les circonstances? Un monde de possibilités s’ouvre à lui et la lueur particulière prend place dans son cœur. L’ennui de ce dernier mois fond sous les rayons de son soleil.

Elle doit l’oublier. Tout oublier. C’est ce qu’elle se répète inlassablement alors qu’un sourire de poupée sans âme orne ses lippes vermeilles, regard papillonnant terne pour quiconque la connaitrait fiché sur cet inconnu qui semble tout savoir mieux qu’elle et choisit le film comme le menu d’une main de maître. Pas besoin qu’elle se fatigue, qu’il dit. Il prend les choses en main, comme un homme. Pourtant ne peut-elle s’empêcher de penser que Woobin, lui, aurait su qu’elle aurait préféré ce film d’horreur plus loin sur l’affiche plutôt que ce navet de niaiseries. Tout comme il ne lui aurait pas sorti comme fadaises qu’il ne lui proposerait pas de popcorns pour son régime strict, de sodas encore moins, lui tendant une eau minérale qu’elle ne boirait guère sans paille, celle-ci manquant également à l’appel. Mais qu’importait au fond ce qu’il ferait ? Le passé était révolu, leur histoire aussi, et puisqu’elle avait été tissée sur des mensonges et qu’il n’avait jamais rien éprouvé pour elle… peut-être devrait-elle retrouver ce qu’elle connaissait le mieux, à savoir un homme qui la traitait comme son nouveau sac à la mode, et elle qui se contentait de rutiler. Après tout, n’était-ce pas penser à elle et vouloir être prévenant que lui épargner quelconque choix ? Il l’aimait à sa façon et elle se devait de l’accepter pour ne pas paraître ingrate, elle qui ne méritait rien, fraude ambulante au faciès emprunté. Monstre devenu papillon sous le bistouri d’un médecin. Se gavant à l’amour superficiel, buvant des paroles vides de sens dans l’espoir d’un frétillement quelconque dans son bassin pour effacer cet autre qui, de toute évidence, ne la reconnaîtrait jamais.

Elle devait accepter de tourner la page. Remiser cet épisode honteux dont elle ne se rappelait même plus la fin et retourner à sa vie empruntée, cousue de fils blancs. Parce que Chi Nabi aimait la romance. Les films d’amour (de celui qu’elle n’avait jamais eu), les dramas historiques déchirants (devant lesquels elle n’avait jamais ronflé, bien évidemment), qu’on lui déclame des poèmes (qu’elle ne comprenait pas) et tout autre chose qu’on attendait d’une femme coréenne qui lui vaudrait un peu d’amour. Grappillant les miettes comme une affamée, riant faussement sous couvert de sa main à une blague qu’elle n’avait pas écouté, pour lui donner de l’importance. Et ainsi défilait les jours, ballet perpétuel du pantin désarticulé que les hommes s’arrachaient autant que les magazines de mode. S’ils savaient quelle arnaque elle était…

Adossée à son siège, les yeux fermés dans les ténèbres, elle tente de se recentrer. Elle qui n’avait jamais eu grand mal à jouer ce rôle était ces derniers jours remplie d’une amertume nouvelle, le cœur gros et l’âme en peine. N’était-ce pas pour l’effacer de son esprit qu’elle avait accepté cette sortie ? Alors pourquoi ne faisait-elle que penser à lui ? Lèvre mordue à l’excès, s’en trouvant purement pathétique de s’accrocher à des chimères quand même sa voix vient se faufiler jusqu’à son oreille. Son corps faisait-il vraiment grève au point qu’elle ait des illusions auditives ??? Allant jusqu’à imaginer son souffle contre sa peau, la chaleur de ses charnues si elles venaient s’échouer et les frissons la parcourant par milliers, secouant nerveusement la tête comme pour chasser un fantôme. « Non, va-t-en !! » qu’elle murmure entre ses lèvres, prête à se doucher au sel s’il fallait. Il ne lui manquait pas. Ne lui avait jamais manqué. Ne lui manquerait jamais. Et tout ce qu’elle voulait, c’était l’embrasser qu’il s’en aille !!! Croyant avoir vaincu l’illusion et reprit le contrôle sur son esprit quand le silence se fait de nouveau, soupirant d’un mélange de soulagement et de déception.

Et puis elle calcule finalement le pack de lait fraise sur ses cuisses, apparus comme par magie, ses orbes s’écarquillant et brillant comme si noël avait sonné, tournant la tête vers son rendez-vous du jour pour lui demander s’il était celui à les lui avoir offert quand c’est la voix d’un autre qui sonne encore à ses oreilles, la faisant sursauter. Et cette fois elle se tourne, complètement prise de court, ses yeux s’écarquillant de le voir vraiment présent, en chair et en os, ses jambes ayant l’impulsion de se lever avant de retomber, les laits fraises sauvés in extremis. « Qu’est-ce que… » ne peut-elle s’empêcher de murmurer complètement ébahie, un doigt tremblant pointé dans sa direction jusqu’à venir toucher son épaule comme pour vérifier sa tangibilité. « Tu es vraiment là ??? » qu’elle murmure dans les aiguës, la discrétion pas franchement dans ses cordes. « Depuis quand ? Comment ? Je te manquais ? Non, ça c’était pas toi. Enfin pas toi toi, le toi de moi. Mais tu ne devrais pas être là. Surtout pas après ce qu’on a fait. Enfin non, on a rien fait, c’était l’alcool, ok ? Ou un rêve, oui, un rêve cochon. Et je n’aime pas ces films… si, SI, je les aime. Je suis niaise, et alors ? » qu’elle s’arrête à bout de souffle, attrapant rageusement le pack de lait fraise et se fourrant la paille dans le bec pour en siffler un d’une traite, le regard assassin d’un petit cochon pas content.

Le frisson traverse son corps à peine les réactions se font voir.

Il n’y a rien d’aussi excitant que les émotions qui, perceptibles, s’accrochent aux traits de son visage. La simple lumière de l’écran devant eux n’est pas assez pour tout lui montrer, et c’est pour ça que sa tête, perceptiblement, est avancée en direction de la sienne. Là où il peut se délecter de tout ce qui vient de construire, sans même une seule pensée pour l’énergumène qui est de l’autre côté de son corps et qui, pour d’une raison ou d’une autre, s’est nommé le protagoniste de cette série.

Il lui est aisé de reprendre le leading role. Étoiles qui filent dans ses paupières sombres, tandis que la panique perceptible s’étend à ses côtés. Il s’en serait sûrement allé aussi vite s’il ne percevait que ça: de la peur, de l’appréhension, tout sauf une envie de l’avoir à ses côtés. Peut-être l’invente-t-il, peut-être l’espère-t-il, mais il lui semble bien que Nabi, d’une façon ou d’une autre, est heureuse de le voir apparaître si brusquement, au moment où elle ne s’y attend jamais.

Rompre la monotonie d’une vie qui ne lui convient pas.

L’arracher aux bras d’hommes qui ne pourraient jamais la combler.

L’arrogance est de mise, et il n’en a que cure. Un long soupir satisfait s’échappe de ses lèvres, alors qu’il se renfonce dans son siège. Ses doigts viennent se poser un instant contre ses lèvres pour étouffer un rire, lorsque la jeune femme manque de se ramasser, et de faire tomber ses précieux. Alors qu’il s’est ruiné pour ces petites briquettes, elle oserait tout renverser sur la tête de ceux assis en face d’eux?

“Bien sûr. Préférerais-tu que ce ne soit pas le cas?...” ne peut-il s’empêcher de demander, sourire creusant ses fossettes, regard accroché profondément dans le sien. Souvenirs du baiser qu’ils ont partagé s’immisçant dans son esprit et tendant les parties les plus profondes de son corps, là où ses lèvres rosées sont à une proximité dangereuse, là où il pourrait les cueillir avec aisance. L’autre en serait peut-être estomaqué un instant, mais que pourrait-t-il faire? Il n’existe pas un monde où Lee Woobin a un adversaire.

Les questions fusent. Ses sourcils se redressent. Lorsqu’enfin le discours prend fin, Woobin laisse un petit silence s’étirer, avant de rire doucement. Une affection palpable dans les ricochets de son esclaffe, il se rabaisse et va jusqu’à poser sa joue contre l’épaule de Nabi, tournant le regard vers le haut pour l’observer. “Bien sûr que tu m’as manqué.” souffle-t-il en laissant ses lèvres en direction de la peau de son cou, là où elle pourra sentir la douce caresse de son souffle chaud. Et il se love un peu plus confortablement ici, ferme à demi les yeux et tente de refaire le chemin inverse. A-t-elle posé une autre question importante? “C’était plus qu’un film cochon, ce qu’on a fait, si je puis me permettre.” ne peut-il s’empêcher de susurrer taquin, se demandant si l’alcool a effacé ses souvenirs de la soirée et à quel point il peut maintenant en profiter. Le bout de son nez, doucement, vient frôler sa peau, et il soupire là, trop conscient des sensations qu’il doit lui procurer. “Et après avoir fait tout ça…” souffle-t-il doucement, “n’est-ce pas légèrement honteux d’être partie sans même prendre le petit déjeuner en ma compagnie?” souffle-t-il. Il fait mine de tenter de caler sa tête de façon plus confortable, mais il n’y a rien de coincidental dans la façon dont le bout de ses lèvres, chaudes, vient frôler la peau de son cou. Là où il aimerait poser un baiser, et là où son odeur l’intoxique. “Maintenant je te vois en rendez-vous avec un autre…” souffle-t-il mutin, “dois-je croire que je n’étais qu’un homme de passage, pour toi?...”

Est-ce que son rendez-vous avait remarqué qu’il y avait un intrus ? Et si oui, savait-il déjà que ce dernier n’était pas un fan mais quelqu’un avec lequel elle avait fait des choses tout sauf conventionnelles ? Elle ne préférait pas l’imaginer, se croyant hautement discrète alors qu’elle avait piaillé pour la moitié du cinéma qu’eux deux, ça n’avait été qu’un film cochon, tentant bêtement de reprendre son souffle, et plus encore ses esprits. Mais son âme devait être partie en road trip, parce qu’elle n’arrivait décidément plus à rien connecter, déglutissant péniblement quand ce dernier a l’audace de venir se caler contre son épaule en lui susurrant des mots dont elle avait toujours rêvé. La douceur est aussi irréelle qu’empoisonnée, l’impression d’avoir ingurgité un cocktail exotique devenant toxique une fois dans sa trachée. Comment pourrait-elle lui avoir manqué ? Il ne la connaissait pas, ne la reconnaissait pas, et tout ce qu’il avait vu d’elle c’était sans doute son corps l’autre nuit. Sans doute était-ce ça qui lui avait manqué. Peut-être était-il comme les autres au final, cœur gorgé de toxine se gonflant jusqu’à imploser, le sel venant brûler ses rétines.

Espérer était interdit.

Pourtant son cerveau tend à oublier quand la chaleur du souffle vient caresser l’épiderme, son corps se tendant derechef comme un arc et demandant à être cueilli. Battement de cœur s’accélérant à lui en faire voir les étoiles à l’évocation de l’autre soir, la gorge sèche, la peau à vif, la peur panique qu’il puisse l’entendre la clouant sur place. « Ce n’est… » Le frôlement de son nez contre sa zone sensible lui faisant perdre le fil, sa respiration se faisant plus rauque et ses orteils se recroquevillant dans ses chaussures. « Je ne mange pas de petit déjeuner… » Sortant la première excuse lui venant alors que ses paupières se ferment et sa bouche reste entrouverte, se perdant quelques secondes traîtres dans les sensations alors que dans son esprit défile des images décousues et floues de la soirée.

Qu’avait-elle fait ?

Si cela avait été bien plus qu’un rêve cochon, jusqu’où avait-il été ? Sûrement l’avait-elle pris en bouche, oui, et ils avaient été jusqu’au bout, sans point douter… mais qu’avait-elle fait de plus ? En avait-elle redemandé ?? L’avait-elle tenu éveillé toute une partie de la nuit pour se repaisser de tout ce qu’elle avait manqué ??? Mais alors dans ce cas, pourquoi n’avait-elle pas été courbaturée ? C’était à l’en rendre dingue, luttant contre un esprit récalcitrant en imaginant les pires scénarios, le jeu de son souffle ne l’aidant guère à ne pas glisser dans les fantasmes, cajolerie naissant désormais des lèvres, lui laissant échapper un couinement plaisant.

Et elle sursaute, comme brûlée vive, le repoussant écarlate, main plaquée sur son cou comme en emprisonnant l’accès. Que faisait-il au juste ??? Voulait-il recommencer dans un cinéma ? Ce n’était pas son cas !!! Ignorante face au désir qui pointait sous sa robe alors qu’elle n’avait guère mis de soutien gorge, essayant de se rappeler de ses derniers mots. « Nous ne sommes… non, il n’y a pas de nous, que je sache. Vous êtes mon patron et peut-être qu’il y a eu une légère… » glissade. Gorge raclée et tête secouée. « Mais je vous prie d’arrêter de jouer avec moi. Vous ne savez pas qui je suis et je ne vous intéresserai probablement pas. » Un éclat de souffrance venant se ficher dans ses iris rien qu’à éprouver la douleur de mots épineux qu’elle savait ô combien vrai, se demandant comment il prendrait la nouvelle. Cracherait-il son nom ? La traiterait-il de monstre ? Déformerait-il ses jolis traits de rage d’avoir été dupé après avoir couché avec la truie de son passé ? Ses doigts se refermant douloureusement sur l’accoudoir alors qu’elle était prise de nausée, revenant à la réalité alors que son véritable rendez-vous essaie de se l’accaparer mécontent, la tournant de nouveau vers lui et capturant sa main.

Et elle ne devrait pas résister. Parce que là était tout ce qu’elle méritait. Une vie d’amour illusoire et de mensonges tissés dans une toile lâche, loin de lui et leur passé.

Woobin danse avec la limite qu’il s’est imposée. Dessinée uniquement d’idées qui lui ont été susurrées au fil des années, lui à qui on a toujours répété qu’il pouvait avoir tout simplement parce qu’il était lui, et qu’il lui suffisait de prendre, pour s’en délecter. Ce n’est pourtant pas à un jeu avec si peu de respect auquel il veut se vouer avec Nabi, lui qui aime plus que tout voir ses réactions et jouer avec les non-dits, plus qu’avec un désir violent de la faire sienne sans même lui demander son avis. Alors dans ce cas là ne serait-il qu’un homme parmi tous les autres, pas un qui l’a gardé dans ses pensées et dans son coeur des années durant, espérant plus que tout se repaître à nouveau des traits de son visage, même s’il a à présent compris qu’il était le seul à y voir de la beauté, lorsqu’elle fuyait se réflection. Une tristesse particulière à l’idée qu’elle puisse l’avoir imaginé capable de partager la haine de ses anciens camarades, sans la moindre envie de défaire le mystère instauré délibérément entre eux, pour lui avouer tout ce qu’il aurait voulu lui dire à l’époque, avant qu’elle ne s’en aille sans lui dire un mot.

Il est un peu égoïste. Beaucoup. Et il ne le nierait pas, lui qui ignore délibérément la présence à ses côtés, lui qui s’insère dans la situation comme si elle lui était due. Lui qui se repaît de chacune de ses réactions, une satisfaction certaine pulsant dans ses veines de la voir si sensible à chacune de ses actions, imaginant bien qu’elle finira pourtant par reprendre les rênes, là où il lui semble tanguer trop loin.

Et le moment finit par arriver, chaleur et odeur sucrée qui s’arrache à lui alors qu’elle le repousse. Il ne fait guère de façon et la laisse le plaquer contre son propre siège, prétendant un instant être choqué par sa force herculéenne, avant de lui adresser un sourire évident face à la confusion qui la prend tout entier. Peut-être est-il cruel de s’amuser de son embarras, mais Woobin ne peut s’empêcher de la penser toute entière la femme la plus adorable sur laquelle il n’a jamais posé les yeux, tout autant qu’il le pensait lorsqu’elle était à lui, officiellement. “Je ne suis pas un vampire.” ne peut-il s’empêcher de murmurer, amusé, face à la façon dont elle lui bloque l’accès à son cou, imaginant bien qu’il se serait laisser aller à y tracer la peau de la pointe de ses dents, juste pour l’embêter. Un regard est adressé en direction de son beau du jour, celui-ci se rendant inévitablement compte de quelque chose, il en est persuadé, mais ne faisant pas preuve de beaucoup de verve pour s’accaparer Nabi et lui refuser le chemin. Que trouve-t-elle à cet homme? Woobin ne le connaît pas, et ne se laisserait pas à assez de suffisance pour les comparer, mais ce qu’il en a vu depuis l’épisode des snacks ne peut lui laisser à penser autre chose que l’idée qu’il ne mérite pas Nabi.

Il reste un moment interdit face à ses mots. Se laissant happer par le doute soudain, à l’idée que Nabi est réellement mécontente de le voir là. Que ce qu’il a perçu lorsqu’il était au creux de son cou n’était qu’illusion, et pas la réaction d’une femme qui le désirait tout autant que lui le faisait, enchaînée à un autre pour une raison qui lui échappe. S’insère-t-il juste dans un de ses moments de bonheur, parce qu’il s’ennuie? Et pourquoi la froideur et la distance qu’elle établit entre eux fait apparaître une moue certaine sur ses traits, l’espace d’un moment? Woobin tente de se parer à nouveau de nonchalance. Secoue la tête et passe les doigts dans ses cheveux, prétendant se concentrer sur le film avant que du coin de l'œil, il n’aperçoive les doigts de Nabi s’entrelacer à ceux de cet homme. Une possessivité et une jalousie s’emparant de lui, incapable de ne pas continuer à les observer, se demandant si c’est une étreinte qui lui plaît, et si la leur ne l’intéresse plus.

S’il est vraiment le simple idiot qui l’a attendue, alors qu’elle ne veut plus rien avoir à faire avec lui.

Ses doigts pianotent sur l’accoudoir libre, à l’opposé de Nabi. Pendant quelques longues minutes il se retient. Fait force pour ne pas se laisser aller par son impulsivité naturelle, pour ne pas se laisser aller à dire tout ce qui lui passe par la tête, et faire tout ce dont il a envie, comme à son habitude. Mais quelque chose le travaille. L’empêche de se relever et de quitter cette salle, combien même elle lui a donné tous les signes lui indiquant qu’il n’avait aucune autre option. Un long soupir s’échappe de ses lèvres, caché par le son du film, et au bout d’un moment il lui semble insupportable de patienter, ses doigts se meuvant d’eux même.

Si son autre main est prise, personne ne lui a interdit de s’emparer de l’autre. Elle n’est pas à lui, il n’en a pas le droit, et elle le repoussera sûrement aussi chaudement qu’elle vient de le faire quand, avec audace, il était si près de sa peau. L’odeur fantôme dansant encore contre ses narines, lui dont tout le corps l’appelle à une chaleur, souvenirs de leur baiser faisant palpiter son cœur alors qu’il vient déposer sa main, immensément grande par rapport à la sienne, au-dessus de la sienne.

Caresse interdite là où son regard reste accroché à l’écran qui se trouve élevé au-dessus d’eux, le bout de ses doigts trace la longueur des siens. Il n’aime pas se sentir bouleversé pour si peu mais le contact l’électrise, envoie des frissons jusqu’au plus profond de son estomac, et le pousse à intensifier ses caresses jusqu’à retourner sa main et s’emparer de sa paume, là où il vient possessivement entrelacer ses doigts aux siens pour les lier. Un soupir de contentement lui échappe, là où une honte certaine pulse dans sa poitrine.

S’il n’était que son boss et qu’elle n’était qu’un mannequin qu’il avait rencontré une seule fois, la situation aurait été déplacée. Et la situation l’est dans tous les cas, déplacée. Elle est en rendez-vous avec un autre, et lui a montré tant de fois qu’elle ne voulait rien avoir à faire avec lui…

Seulement, elle lui avait montré tant de fois qu’elle ne l’avait pas oublié. Qu’elle le voulait. Se souvenant des notes tendues de désir avec lesquelles elle avait utilisé son nom, son surnom. Le veut-elle? Lutte-t-elle elle aussi avec un désir brûlant et incontrôlable ?

“Je sais qui tu es.” vient-il finalement murmurer à son oreille. Loin de lui l’idée de lui avouer qu’il sait qu’elle est sa Nabi, son intention étant simplement de reprendre ses mots, la secouer un peu, et voir si cela suffit à la faire réagir, s’il n’invente pas l’envie certaine qu’elle semble éprouver à son égard. L’accepterait-elle s’il lui avouait l’avoir reconnue, dès le moment où il a posé son regard sur elle? Ou ne ferait-elle que le fuir encore plus violemment, elle qui avait déménagé sans même lui laisser un mot? Et c’est cette peur tenace qui l’empêche de tout avouer, incapable d’imaginer un monde où il pourrait la laisser filer comme il l’avait fait à l’époque, incapable de faire du sens de ce qui se passe dans sa tête, de ce qui se passe dans son coeur. “Et je sais que depuis notre rencontre, les signes que tu m’envoies sont particulièrement contradictoires.” souffle-t-il, observant avec tendresse ce qu’il peut percevoir de son profil. Sa prise se fait un peu plus accrue contre sa main, là où il craint un instant sa réaction, là où il craint un instant d’entendre les mots qu’il craint plus que tout. Mais qu’importe. Il n’est pas homme à se laisser impressionner par si peu, soufflant légèrement avant de reprendre la parole. “Dis moi que tu ne veux pas de moi. Dis moi que tu ne veux plus jamais me voir et je m’en retournerai sans plus jamais porter mon attention sur toi.” avoue-t-il, incapable pourtant de croire lui même en ses mots, lui dont les désirs dépassent souvent la raison, malgré tout. Mais il veut simplement le savoir: si son refus est si entier qu’elle pourrait l’annoncer avec confiance, ou si elle vacille juste. “Dis moi que ça ne te fait rien quand je…” susurre-t-il avant de déposer un baiser au creux de son cou, juste avant que son oreille ne débute, “ou quand je…” souffle-t-il avant de revenir contre son oreille, là où il s’autorise à murmurer son nom, comme il l’aurait susurré s’ils avaient véritablement passé la nuit ensemble, et n’avaient fait qu’un. “... Et alors je partirai. Je ne t’embêterai plus. Je comprendrai que je ne suis rien, pour toi. Simplement ton… boss.” lance-t-il en esquissant une grimace, tension certaine au creux de sa poitrine de simplement suggérer l’idée. Et il reste là, tout près d’elle, attendant sa réponse, conscient que le temps est contre eux, sa compagnie du jour pouvant décider subitement de ne plus le laisser interrompre leur rendez-vous et de lui refaire la tête au carré.