Le 14 février. Cette fête qui célèbre les amoureux, qui voit du rose et du rouge coloré chaque magasin, qui fait dépenser des sommes astronomiques pour la personne qu’on aime… Eun Bin ne l’avait jamais comprise. Bon en même temps, elle n’a jamais été amoureuse donc peut-être que ce jour avait quelque chose de particulier, et qu’elle ne le savait tout simplement pas. Quoi qu’il en soit, elle ne se souvenait pas que Gwangju était aussi animée un soir de 14 février. Mais en plus de dix ans, les choses changent. Mais cette euphorie ne convenait pas à la garde du corps. Dans le sens où elle avait faim, qu’elle voulait manger quelque chose mais que tous les restaurants où elle allait étaient pleins. Et ce soir, elle n’avait pas envie de s’acheter quelque chose dans une supérette, elle avait envie de manger quelque chose « fait maison ». Et comme elle ne savait pas cuisiner, quoi de mieux qu’un bon restaurant pour trouver son bonheur ?

Finalement, à force d’arpenter les rues, elle trouve un restaurant plus calme que les autres et qu’en plus, elle ne connaît pas : le Ramentic. Sans doute une contraction entre ramen et romantique. C’était plutôt bien trouvé et assez mignon. Le restaurant avait l’air plein, mais de l’extérieur, elle pouvait distinguer encore quelques places vides, alors autant tenter sa chance. Chaleureusement accueillit, elle commande un bon bol de authentiques ramens, ce qui semble être la spécialité de la maison, et elle se dirige vers la place que lui indique l’employé. Une personne y est déjà installée, mais ce n’était pas rare que deux personnes seules soient mises ensemble, pour permettre de satisfaire un maximum de personnes. Arrivée devant la table, elle se racle doucement la gorge pour attirer l’attention de l’homme déjà assis. « Excusez-moi… On m’a indiqué cette place pour manger » explique-t-elle tout en s’asseyant, après s’être légèrement inclinée. Un léger sourire aux lèvres, elle regarde son vis-à-vis avant de retirer sa veste et de d’attacher sa longue chevelure noire. « Vous venez souvent manger ici ? C’est la première fois que je viens, je ne connaissais pas du tout cet endroit. » Naturellement, elle fait la conversation. Elle était de bonne humeur ce soir, alors parler avec un inconnu ne la dérangeait pas. « Mais peut-être préférez-vous manger en silence ? » demande-t-elle, pour être sûre de ne pas importuner la personne qui n’a absolument pas demandé à manger avec une inconnue.

Woobin ne voyait pas ce 14 février comme un tout autre jour. Certes, il aurait été plus que ravi de voir une petite Nabi débarquer dans le hall de son entreprise pour trébucher sur une plante ou un banc, afin de venir la sauver tel un prince charmant… Mais il avait attendu de longues minutes, qui s’étaient transformées en heures, sans que rien ne se produise. Il avait hésité un instant, à lui envoyer un message. Lui imposer, plus que lui demander, qu’ils se voient pour le jour des amoureux, aucunement timide face aux implications d’une telle déclaration et pourtant, il n’en avait rien fait. Car une autre idée, timidement, s’était imposée à son esprit. Et si, un silence total de la part de Lee Woobin, le jour de la St Valentin, la torturait à un tel point qu’elle en finirait par venir à lui de frustration? Voilà sur quoi il avait parié, abandonnant l’attente de quoi que ce soit et s’occupant de son travail pour la journée, aussi las que d’habitude.

Lorsqu’il avait quitté le grand bâtiment, la soirée débutant, Woobin n’avait pas su où aller. Rentrer tout de suite chez lui? C’était le pari qu’il faisait d’habitude et pourtant, pour une raison qui lui avait échappé, l’envie de se balader un peu à Gwangju avait fait fi de lui. Le jeune homme qui, pourtant, n’était pas du genre à se mêler à la populace, bien qu’aucunement rempli de mépris à leur égard. C’était en déambulant dans le quartier de Gwangsan, après y être allé avec sa voiture, qu’il était tombé sur cette devanture toute particulière. Le jeu de mots l’avait fait rire, et l’avait poussé à entrer. Peut-être donnerait-il un gros pourboire au petit restaurant, ça ferait sa bonne action du jour.

Un léger sourire étire ses lèvres alors qu’il pousse la porte de l’établissement. L’odeur alléchante vient caresser ses narines et Woobin soupire de réaliser que cela fait un moment, qu’il n’a pas mangé un bon plat. Les plats préparés par son chef particulier se font parfois ennuyeux et répétitifs, mais il voit l’activité de se sustenter comme quelque chose de nécessaire et pas forcément plaisant. à voir la nourriture sur les tables et à sentir la délicieuse odeur, il lui est pourtant obligé de revoir son avis. S’asseyant à une table avec un soupir, il observe le menu rempli de ces plats qu’il n’a pas mangés depuis un bon bail, avant qu’un raclement de voix, devant lui, ne le pousse à relever le regard.

“Oh. Vraiment?” répond-il en relevant un sourcil. Il avait imaginé manger seul mais avoir de la compagnie ne le dérange pas pour autant. Woobin détaille la jeune femme alors qu’elle tire la chaise pour s’y asseoir: non, elle ne lui dit rien. Une totale inconnue. “Je ne savais pas que ce genre de choses se faisait.” avoue-t-il. Depuis combien de temps n’est-il pas allé dans un petit restaurant? Et ce n’est pas les enseignes de luxe qui s’autoriseraient de telles pratiques. Le jeune homme tire un peu sur son col pour se donner l’espace de respirer, et soupire. “Pas du tout. C’est ma première fois.” avoue-t-il en jetant un regard sur l’espace autour d’eux. “Ce n’est pas le genre d’endroit que je fréquente d’habitude…” lance-t-il sincèrement, sans arrogance pourtant. S’il est fortuné, ce n’est pas pour autant qu’il regarde avec mépris les choses qui sont moins que luxueuses, au contraire. Juste une affaire d’habitude. “... Mais l’ambiance est chaleureuse.” avoue-t-il finalement avec un petit hochement de tête. “Restez. Vous êtes déjà assise, et puis…” Il se penche légèrement, le menu dans les mains. “Je ne sais absolument pas quoi choisir. Vous avez une recommandation?” demande-t-il en laissant l’inconnue parcourir le menu.

Les rencontres, même fortuites, ne sont pas la tasse de thé de Eun Bin. Depuis l’incident, elle est plutôt solitaire, se contentant des relations, amicales, familiales et professionnelles qu’elle a. Tout simplement parce qu’elles lui suffisent. Et puis avec le métier qu’elle exerce, elle côtoie beaucoup de personnes. C’est un bon compromis, au fond : elle a une sorte de vie sociale sans avoir besoin de se faire énormément d’amis. Ça lui convient bien. Mais parfois, comme ce soir, elle est plus amicale, plus curieuse sur les autres. Alors quand on lui indique une table qui est déjà la table d’une autre personne, elle ne rechigne pas. Aussi parce qu’elle n’a pas le choix, sinon elle ne pourrait pas manger, et son estomac crie famine.

Alors elle fait connaître sa présence, qui à l’air de surprendre le premier venu, ce qu’elle peut comprendre. Il détonne un peu du reste de la clientèle, avec son élégance naturelle, son costume étincelant et le charisme qui se dégage de lui. Il pourrait facilement faire partie des personnes que Eun Bin serait amené à protéger. « Oui, vraiment » répond-elle dans un doux sourire. Il ne semblait pas avoir l’habitude de manger dans ce genre de restaurant. Pensée qui se confirme par la suite de ses propos. « Dans les petits restaurants comme celui-ci, c’est courant. Il existe même des restaurants pour personnes seules, où le but est de faire connaissance en étant à table avec une autre personne seule. » La jeune femme s’intalle confortablement, et écoute avec attention son compagnon de table. « C’est marrant, mais j’aurais pu m’en douter » dit-elle dans un sourire. « N’y voyez aucun jugement. Je trouve ça bien que vous souhaitez tenter autre chose le temps d'un repas. Peut-être que ça sera une bonne expérience ! » En réalité, Eun Bin avait elle aussi mangé dans des restaurants luxueux, mais elle apprécie tout autant le charme des plus petits restaurants comme celui-ci. « L’ambiance n’a effectivement rien à voir ! On y devient rapidement accro d’ailleurs. C’est beaucoup plus familial, moins guindé. Plus naturel. » C’est sans doute pour ça que Eun Bin adore dénicher ce type de lieu. Et elle sent que ce restaurant à quelque chose de plus que les autres, mais elle ne parvient pas encore à déterminer quoi.

Un léger rire s’échappe de ses lèvres. « Je ne peux pas trop vous aider comme je viens pour la première fois. Mais personnellement, j’ai pris la spécialité du restaurant, les authentiques ramens. Ça à l’air très bon. Et consistant. » Et si jamais elle a encore faim après son bol de ramens, elle se laissera tenter par une petite douceur. Eun Bin, gourmande ? Oui, même si elle fait attention à ne jamais tomber dans l’excès. « Nous pouvons peut-être faire connaissance comme nous allons manger ensemble ? Je m’appelle Han Eun Bin. Enchantée » dit-elle en inclinant légèrement sa tête.

Le sourire que lui adresse l’inconnue est rassurant. En quelques secondes, Woobin s’en fait une bonne impression, trop rôdé aux personnes qui lui tournent autour pour obtenir quelque chose de lui. Cette femme n’a même pas l’air de savoir son identité, et ça lui va très bien comme ça. Alors que l’inconnue lui explique tout sur le restaurant, il hoche de la tête poliment, reconnaissant de ses explications sans jugement. “C’est un concept qui me plaît.” avoue-t-il avec un léger sourire. Autrefois, il aurait été l’homme le plus à même de s’asseoir à la table de n’importe qui, sans même craindre les conséquences. Maintenant, il se fait particulièrement plus méfiant, son naturel avenant toujours présent sous les barrières qu’il s’est érigées.

“Quoi, ça se voit sur mon visage?” lance-t-il avec un rire, amusé que l’inconnue fasse preuve d’autant d’honnêteté. Il ne pensait pourtant pas avoir l’air si gêné ou guindé que ça, mais l’idée qu’il fasse véritablement tâche dans ce restaurant l’amuse plus que de raison. Curieux, il descend le regard en direction de sa tenue, un costume hors de prix qui était sa tenue habituelle au travail, puis le remonte en direction de l’inconnue. “Ce sont mes vêtements?... Ou est-ce mon habitude?” Une petite grimace prend ses traits. Woobin accepterait assez mal que sa situation financière ou ses habitudes se lisent dans son attitude, lui qui se pare de fierté à ne pas agir comme les riches insupportables qu’il ne peut s’empêcher de mépriser. Mais si telle est la vérité… il l’acceptera avec modestie. “Je suppose que ce restaurant a toutes les chances de devenir mon nouveau spot.” avoue-t-il en laissant son regard traîner sur l’endroit, un sourcil relevé. Un doux sourire vient étirer ses lèvres. “ça me rappelle une ambiance que je n’ai pas connu depuis bien longtemps.” avoue-t-il à cette personne qui ne sait pourtant rien de lui. Autrefois, lorsqu’il partageait des repas avec une famille qui l’acceptait comme s’il était des leurs, loin de l’ambiance aseptisée de sa propre maison. Woobin s’éclaircit légèrement la gorge.

“Je vous fais confiance. ça sera des ramen pour moi!” lance Woobin avec un petit sourire, habitué aux repas préparés à l’avance et entreposés dans son frigo. “Et vous, vous allez commander… Pardon, on peut se tutoyer?” demande-t-il chaleureusement, imaginant bien qu’à manger ensemble, ils peuvent se détendre un peu. Woobin vient lui même porter sa main à sa cravate pour la desserrer un peu. “Enchanté.” lance-t-il d’abord, laissant une petite pause s’étirer. Toujours un peu mal à l’aise à l’idée de se présenter, craignant que son nom soit reconnu, et que l’attitude en face de lui puisse changer. Woobin finit par se reprendre et se lancer dans un soupir. “Lee Woobin.” avoue-t-il en s’inclinant également, un sourire étirant ses lèvres un instant à remarquer la sonorité similaire de leurs prénoms. Peut-être s’en fera-t-il une nouvelle amie. ça fait longtemps qu’il n’en a pas eue, de personne comme ça. “Est-ce que je peux t’offrir le repas? En échange de la bonne compagnie.” demande-t-il finalement, appréciant plus de raison que cette jeune femme ait décidé de s’asseoir à sa table.

Il dégage quelque chose de mignon et d’adorable. Il ne colle pas vraiment à l’ambiance du restaurant, mais contrairement à d’autres, il semble s’y adapter et prêt à découvrir quelque chose de nouveau. Est-ce que c’est pour cette raison que Eun Bin a envie de discuter avec lui ? Elle a comme l’impression qu’ils pourraient bien s’entendre. Et puis de toute façon, c’est plus agréable de manger dans une bonne ambiance, même si l’on ne connaissait pas son voisin de table quelques minutes auparavant. “Je dirais que c’est à essayer au moins une fois. Ne serait-ce que pour s’en faire une idée.”

Eun Bin est soulagée qu’il prenne sa remarque à la rigolade, et elle ne peut que répondre positivement à sa question d’un hochement de tête. “A mon sens, c’est un tout. C’est assez rare de voir des personnes aussi bien habillées dans ce genre de restaurant. Et on remarque très rapidement que ce n’est pas dans vos habitudes” lui explique-t-elle. “Mais je trouve ça chouette de vous voir essayer. J’espère que cette expérience va vous plaire. Ce n’est certes pas un restaurant étoilé, mais la nourriture n’en reste pas moins excellente.” Puis elle suit son regard et lui rend son sourire : “Si cet endroit vous rend nostalgique, il a encore plus de chance de devenir un endroit que vous allez apprécier.”

Derrière son costume hors de prix et son mode de vie évident, il n’a pas l’air de ressembler aux gens riches avec qui Eun Bin a déjà dû travailler. Il semble plus humain, plus en accord avec le monde réel que le monde des personnes ayant beaucoup d’argent. “J’espère ne pas vous décevoir alors !” Mais les ramens étaient un plat d’une valeur sûre. Alors Eun Bin ne doutait pas une seconde qu’il allait apprécier son plat. A la question de son vis-à-vis, elle hoche vivement la tête. “Sans aucun souci pour moi. Je suis née en 96 si jamais.” Du coin de l'œil, elle remarque qu’il commence à s’imprégner des lieux et à se détendre. Elle en est ravie, leur repas n’en sera que meilleur. Eun Bin remarque le soupir s’échapper des lèvres du jeune homme avant qu’il ne décline son identité. Ce qui l’intrigue. Elle a envie d’être curieuse mais en même temps, elle n’a pas envie d’aborder un sujet compliqué avec lui et de potentiellement ruiner cette ambiance. Alors elle décide de garder ses interrogations pour elle. Peut-être qu’au cours de la soirée, elle aura l’occasion de lui en reparler. “Oh non… Je… Enfin ça me gêne, je ne m’y attendais pas…” D’un côté, cela la touchait, mais d’un autre, elle n’avait pas l’habitude d’un tel geste envers elle. “Disons que tu payes si tu arrives à me supporter jusqu’à la fin, qu’en dis-tu ?” Elle trouve que c’est un bon compromis. “Mais sache que si tu me payes le repas, on devra se revoir pour que je te rende la pareille !” Hors de question qu’elle se fasse inviter sans qu’elle ne puisse pas faire la même chose en retour. Question de principe.

Remarquant le serveur, Eun Bin l’interpelle et lui passe la commande de Woobin, en précisant que son plat peut-être servi en même temps bien qu’elle ai commandé plus tôt que lui. Mais si déjà ils sont assis ensemble, au temps qu’ils mangent en même temps. “Et que fais-tu dans la vie ? Enfin, si tu as envie d’en parler.” Eun Bin n’était pas vraiment à l’aise avec les interactions sociales, surtout avec les personnes qu’elle ne connaissait pas. Alors elle commençait toujours par discuter de choses basiques. C’était plus facile.

L’espace d’une demi seconde, Woobin ne peut empêcher la gêne de se frayer un passage à travers lui. Fait-il aussi tâche avec ses habits? Mais Eunbin a raison: aux alentours, il ne peut capter personne qui semble avoir sorti le costume pour l’occasion. S’il lui prend l’envie de revenir un autre jour, il s’habillera de façon plus décontractée. “J’ai fait un fashion faux pas. Je ne sais pas si je m’en remettrai un jour.” lance-t-il avec humour, se versant un verre d’eau et en faisant de même avec sa partenaire de la soirée. “Cela n’a pas de raison de me déplaire. En vérité, je suis déjà entièrement satisfait, grâce à ça on a pu se rencontrer.” avoue-t-il sincèrement. Lui dont la solitude est le quotidien, il n’a pas particulièrement l’habitude de rencontrer de nouvelles personnes… et quoi qu’il dise, il en est la principale raison. Sûrement qu’Eunbin ne s’en douterait pas maintenant, parce qu’il sourit, et est décontracté. Sûrement est-ce le contexte qui force son habitude. Mais autour des personnes qui le savent fortunées et lui adressent la parole pour cette raison, il garde ses distances. Avec la plupart des gens, en vérité. Lui qui a toujours été d’un naturel social et amical, se noie dans l’ennui à la longue.

Un sourire étire ses lèvres lorsqu’Eunbin exprime son envie de ne pas le décevoir. S’il y a quelque chose qu’il aime le plus au monde, c’est taquiner les gens, alors, il ne résiste pas à l’envie lorsque l’opportunité se présente aussi facilement face à lui. “Et si ça arrive, qu’est-ce que tu feras?...” répond-il en posant ses coudes sur la table, prenant appui de son menton sur ses mains. “ça ne se voit peut-être pas à mon attitude, mais je suis intransigeant. Peut-être que je réagirai très mal et que je demanderai compensation.” lance-t-il en continuant à sourire, laissant l’humour transparaître sans détours dans sa voix.

“Noona?...” lance Woobin en rigolant lorsque Eunbin lui apprend être plus âgée que lui. “Et j’ai laissé tomber les formalités! Je m’en excuse sincèrement.” avoue-t-il en inclinant légèrement la tête, pour rigoler. “Pour l’instant, je ne vois pas pourquoi te supporter serait une tâche difficile.” avoue-t-il sincèrement. Elle n’a été que gentille depuis le moment où elle s’est invitée à cette table. “Si là est le contrat que je dois signer je le fais les yeux fermés… Cela me fera de la compagnie, promise à une autre fois.” affirme-t-il en hochant la tête. Il reste silencieux alors qu’Eunbin commande de la nourriture, et ne peut s’empêcher de demander de l’alcool en plus. Sans envie de particulièrement se saouler, mais par envie de profiter de la soirée.


“Ce que je fais?...” répète-t-il doucement, hésitant un instant. Doit-il lui révéler?... Il doute que cela change grand chose, Woobin a déjà décidé qu’Eunbin était dans le camp des gens sympathiques. “Je dirige une entreprise de cosmétiques.” avoue-t-il, avant de préciser. “Angel Beauty. Peut-être que tu as déjà vu des publicités.” Cela lui fait toujours un peu bizarre de l’avouer. Ce n’est pas lui qui a créé cette entreprise, il n’a fait qu’en hériter, et ce n’est pas comme si son travail le passionnait. En vérité, s’il avait une autre vocation, il l’aurait cédée il y a longtemps. “Et toi?” demande-t-il avec curiosité.

Ce qui était bien avec ce genre d’endroit, c’est que les personnes qui y mangent ne font pas attention aux autres. Donc en vrai, Woo Bin n’avait sans doute pas tant attirer les regards que ça avec sa tenue. Mais Eun Bin ne pouvait pas ne pas la voir, elle était assise en face de lui et elle lui avait fait cette remarque avec bienveillance. “Je suis sûre que ça va aller. Vous allez vite oublier ce petit dérapage vestimentaire” lui sourit-elle, appréciant déjà son humour. Elle le remercie pour lui avoir servi de l’eau et en profite pour se désaltérer. Elle n’avait rien bu depuis un moment, et elle avait l’impression de se dessécher de l’intérieur. “Oui c’est vrai. Je ne m’attendais pas à faire une nouvelle rencontre aujourd’hui, mais c’est une agréable surprise je dois dire.” Eun Bin était une enfance et une pré-adolescente joyeuse, avec de l’humour, qui avait un cercle d'amis conséquent et qu’elle chérissait du plus profond de son être. Mais depuis les meurtres, elle s’était renfermée, isolée. Elle n’allait plus vers les autres. Enfin si, pour coucher. Mais pas pour essayer de se faire des ami.e.s. Mais l’air de sa ville natale lui donnait peut-être des ailes. A Séoul, elle n’aurait jamais accepté de partager sa table avec quelqu’un, elle aurait quitté le restaurant et serait allée manger ailleurs. Peut-être que cette soirée allait lui réserver d’autres surprises ?

D’abord surprise par l’attitude de son vis-à-vis, elle finit par se prendre au jeu aussi et plonge son regard dans le sien, posant son menton dans le creux de sa main, pendant légèrement sa tête. “S’il y a bien une chose en laquelle j’ai confiance, c’est moi et mes choix. Ça m'étonnerait que j’arrive à décevoir quelqu’un, surtout quand il s’agit de nourriture dans un restaurant. Mais après… Je peux donner des compensations, sans aucun souci.” Elle pourrait s’aventurer plus loin, commencer à le charmer, mais elle perçoit qu’il reste dans de l’humour, et cela lui va totalement. Alors elle s’amuse elle aussi, appréciant cette légèreté.

“Oh, tu es plus jeune que moi ? Sois à l’aise de m’appeler comme tu le souhaite, les formalités ce n’est pas forcément mon truc.” Elle rit à sa remarque. C’est qu’il avait aussi un côté charmeur ce jeune homme. “Bon pour un repas gratuit, je vais me tenir et faire en sorte que ton instinct ne te trompe pas” dit-elle en riant. En réalité, Won Bin était dans le juste. Elle n’était pas une personne trop difficile à supporter. Même si ça la gênait, si son partenaire de table était un homme de parole, il allait sans doute lui payer le repas de ce soir. “Alors signons ce contrat en échangeant nos coordonnées” lui propose-t-elle en sortant son téléphone et en lui tendant. “Ça va être plus pratique pour fixer notre prochaine rencontre.”

En attendant l’arrivée de leur repas, Eun Bin en profite pour faire la conversation. Elle a l’impression de se retrouver telle qu’elle était durant son enfance, et c’était à la fois quelque chose de bizarre mais d'agréable à la fois. Mais c’était aussi Won Bin et ce qu’il émanait qui lui donnait cette confiance et ce lâcher prise. Elle se demandait comment réagirait son meilleur ami en sachant ça. “Non c’est vrai ?” s’exclame-t-elle en se redressant comme une puce. “J’utilise certains produits de la marque. Enfin de toi du coup. J’en suis fan ! Ca me fait bizarre de me dire que je suis en face du dirigeant d’une de mes marques de cosmétiques favorites. C’est… Original !” Elle rit ensuite, toujours sous la surprise de cette annonce. Elle n’en revient pas. Cette soirée est vraiment pleine de surprises. Elle se demande ce qu’elle va leur réserver pour la suite. “Je suis garde du corps. Mon oncle a ouvert une branche de sa société à Gwangju, alors je suis venue ici pour retrouver ma ville natale. Du coup, si jamais tu as une fois besoin de protection, n’hésite pas à me contacter. Je veillerais sur toi avec attention et plaisir !” Eun Bin jouait avec ses doigts tout en parlant. Elle avait tellement de questions en tête pour Won Bin, mais elle ne voulait pas les lui poser et lui faire peur avec ce qui pourrait ressembler à un interrogatoire. “Du coup, je comprends mieux ton ‘fashion faux pas’. Je suppose que tu sortais du travail ?”

L’ambiance à table est agréable. Sans pouvoir s’en empêcher, Woobin se sent ramené des années en arrière, à une époque où il liait si facilement des liens avec les autres qu’il aurait pu être ami avec n’importe qui. Et c’était ce qu’il était: le garçon populaire où qu’il aille, qui connaissait tous les noms, apprécié de tous. Une image qui ne l’avait aucunement pesé jusqu’au jour où elle avait blessé une autre personne qui lui était chère, à coup de malentendus, et de mauvaises intentions. Cela fait des années maintenant qu’il lui semble avoir perdu cette capacité: tapie au fond de lui, il s’est de plus en plus renfermé, incapable de faire autant confiance aux autres qu’avant, une vie d’un ennui profond qu’il n’a jamais choisie. Obligé de reprendre la place dans les chaussures de son père décédé, il lui semblait que cette étincelle au creux de son cœur s’était éteinte: mais les expériences récentes semblent lui prouver qu’il reste encore un peu de ce Woobin, tout au fond.

Eunbin le met à l’aise. S’il a un moment d’hésitation à l’idée de lui donner son numéro de téléphone, prudence de sa position oblige, il finit par se laisser aller et s’empare de l’appareil pour y noter ces informations. Il ne devrait pas être si confiant avec une parfaite inconnue, mais il suppose qu’il ne perçoit rien, dans son attitude, qui le pousserait à être réellement méfiant. Reprenant l’appareil, il le fourre dans sa poche et repose son attention sur la jeune femme, hochant la tête lorsqu’elle s’exprime, heureux de voir qu’elle semble tout autant que lui apprécier cette conversation, et se jouer de la situation.

Lorsqu’elle semble prise de surprise de l’apprendre, Woobin ne peut s’empêcher de laisser un rire aussi amusé que gêné s’échapper de ses lèvres. Posant sa joue contre sa main, il lui est un peu étrange de réagir: rares sont les personnes qui ont une telle réaction à la révélation de son poste… Probablement parce qu’il n’a pas ce genre de conversation avec n’importe qui. Voir quelqu’un qui semble sincèrement excité par la chose l’amplit d’une joie qu’il ne saurait décrire, comme si ce qu’il faisait servait réellement à quelque chose. Planqué dans son bureau en haut du gratte-ciel, il lui est souvent difficile de se sentir proche de ce qu’il accomplit dans son entreprise. “C’est une opportunité. Peut-être que je pourrais vous envoyer quelques produits, si ça vous intéresse.” Petit cadeau en retour de la compagnie dont elle lui fait profiter. Woobin écoute avec attention ce qu’elle lui apprend vis à vis de son travail, tête qui dodeline de haut en bas pour le signifier, alors que les repas choisis par la demoiselle arrivent sur la table, bols fumants et odeur qui lui donne l’eau à la bouche. Le choix de sa tenue semble encore une fois tout à fait inapproprié: il se voit mal manger ses ramens sans en mettre partout sur son costume qui, il doit l’avouer, coûte un certain prix. Heureusement, il n’en ferait pas trop de manières et s’en achèterait un nouveau sans problème, s’il le fallait. “C’est ça, j’en viens directement.” avoue-t-il en se penchant en direction du bol pour humer un peu plus profondément l’odeur, sourire accroché au bord des lèvres. Il y a quelque chose de nostalgique à ce moment. Souvenirs de son adolescence qui affluent, période où il avait été sûrement le plus heureux de sa vie, insensibilité qui s’était creusée depuis lors. “Je n’étais pas d’humeur à rentrer chez moi et à retrouver…” Un long soupir prend l’intégralité de son corps. Son regard se relève en direction d’Eunbin, peu sûr de s’il peut faire des aveux aussi personnels à son sujet avec quelqu’un qu’il ne connaît pas. Mais même s’ils sont inconnus, il existe une certaine familiarité entre eux telle qu’il a l’impression de la connaître depuis longtemps. “... Le froid de mon appartement. Ou dirais-je penthouse? N’importe qui de mon statut s’amuserait à lancer le mot à tout va. Cela semble être le rêve, non? Un appartement au dessus de tous, qui surplombe Gwangju. La réalité est bien autre. Cet appartement est tout simplement…” commence-t-il avant de finir, d’un ton plus faible, “... déprimant.” Une certaine tristesse qui se fiche au creux de ses yeux, Woobin tente de se distraire en s’emparant de ses baguettes. Enroulant les pâtes autour, il les apporte à ses lèvres et ferme les yeux pour profiter entièrement du goût. Un soupir de satisfaction lui échappe une fois la bouchée avalée, et il s’affaisse contre le dos de sa chaise, comme si là était le plat le plus complexe et le plus délicieux de sa vie. Pour ça, comme pour le reste, il n’a jamais trouvé satisfaction dans les expériences de luxe, mais une appréciation bien plus grande dans les petits moments du quotidien, précieux et souvent ignorés par la plupart des gens. “C’est délicieux.” affirme-t-il en levant un pouce en direction d’Eunbin, léger rire qui vient plisser ses paupières. “Tu l’as échappé belle. Tu n’auras droit qu’à mon côté le plus angélique, aujourd’hui.” achève-t-il de dire avant de lui poser une question. “ça te plaît?... Ton travail…” demande-t-il de la part d’un homme qui peine à trouver de l’intérêt au sien.

Eun Bin était heureuse que sa nouvelle connaissance accepte de lui donner son numéro. Cela voulait dire qu’ils partageaient le même ressenti l’un envers l’autre, et qu’ils voulaient se revoir. Elle était aussi heureuse car elle n’avait jamais pensé réussir à faire ce genre de choses aussi vite. Elle était de retour à Gwangju depuis peu, elle apprenait encore à redécouvrir la ville et à se redécouvrir ici qu’elle n’avait pas du tout penser à se faire une nouvelle connaissance. Elle voulait, elle devait d’abord faire face à ses démons, mais les plans ne sont pas infaillibles, le déroulement de cette soirée en était la meilleure preuve. Une fois leurs coordonnées échangées, l’échange entre eux continuait d’être fluide. C’était agréable de discuter avec lui. Il était simple, quand bien même il avait beaucoup de responsabilités pour son âge. Eun Bin était si excitée d’avoir découvert son métier qu’elle avait envie de lui demander un autographe et une photo, et elle se retenait fortement de ne pas le faire pour ne pas paraître ridicule. “V… Vraiment ? Oh ce sera avec plaisir ! Je ne dis jamais non à des produits de Angel Beauty. Je ne me souviens même plus depuis quand je suis fan, ça fait tellement longtemps. Et puis les stands dédiés à la marque sont magnifiques. En tout cas à Séoul. Je n’ai pas encore eu l’occasion de voir ceux d’ici.”

Un sourire radieux ornait ses lèvres, et il s'agrandit encore une fois leur commande arrivée. La jeune femme en salivait. Elle avait tellement faim et le plat était plus qu’appétissant. “Ça doit être des longues journées j’imagine.” Elle ne veut pas oublier la présence de Woo Bin, alors quand bien même elle est subjuguée par la nourriture, elle continue de faire la discussion avec lui. D’autant plus qu’elle aimait vraiment ce moment d’échange avec un inconnu, aussi bizarre que cela puisse paraître. Elle l’écoute avec attention et hoche plusieurs fois la tête à son propos. Elle s’y retrouvait, quelque part. “Je comprends. Depuis que je suis revenue je ne suis pas restée trop longtemps dans mon appartement. Je n’arrive pas encore à m’y faire… Pourtant, il me ressemble et j’ai enfin mon propre chez moi mais… Je crois que la présence de mon oncle me manque quand même plus que ce que j’aurais imaginé.” Elle termine sur un léger rire. Ce n’était pas que ça, évidemment, mais elle n’allait pas gâcher la soirée avec son triste passé.

Elle goûte elle aussi son plat et le goût est à la hauteur du visuel. Elle ferme les yeux de plaisir et replonge rapidement ses baguettes dans le bol pour reprendre une seconde bouchée, puis une troisième. “C’est succulent même ! Ça fait longtemps que je n’ai pas mangé de ramens aussi bons !” Elle reprend une bouchée et manque de s’étouffer en rigolant en même temps à la boutade de Woo Bin. “Tant mieux ! Même si je m’en doutais, je suis soulagée de l’entendre.” Le bouillon étant aussi bon que le reste, Eun Bin s’arme de sa cuillère pour en boire une bonne quantité. “J’adore mon travail. Pendant très longtemps je ne savais pas ce que j’allais faire. J’ai juste mon bac, je n’ai pas d’autres diplômes. Et puis mon oncle a décidé d’ouvrir sa boîte de sécurité privée. Je l’ai aidé et je me suis prise de passion pour ce job. Et il faut dire que je suis douée en arts martiaux donc ça aide pas mal.” Eun Bin savait qu’elle avait de la chance de faire un métier passion. Ce n’était pas le cas de tout le monde, et peut-être que Woo Bin n’avait pas eu le choix que de faire ce qu’il fait actuellement. “Et toi ? C’est un métier que tu as choisi ou c’est plutôt une corvée ?”