C'était pas vraiment ton idée d'être là. Pas que tu n'en avais pas l'envie, juste que l'idée ne t'aurait pas vraiment traversé l'esprit. Ce n'était pas grand chose, en soit, et pour le moment tu ne faisais pas plus qu'être là, sourire et faire coucou. Ca restait plutôt simple. Suffisamment simple pour que tu ne fasses pas trop de bêtises pour le moment ou que tu te rendes trop ridicule. Les enfants étaient adorables, et gentils, te posant parfois des questions. Ce n'était pas toujours évident de répondre car parfois tu n'avais tout simplement pas de réponses. Pourquoi avoir mis du bleu et pas du rouge. Pourquoi avoir ça comme ça et pas autrement. Tu ne t'expliquais pas toujours les choix de tes dessins, suivant simplement l'inspiration du moment. L'envie du moment. La fête d'anniversaire était sinon plutôt tranquille. L'agence avait trouvé l'idée bonne, voire même très bonne car cela pourrait peut-être rendre les gens qui n'y connaissaient rien curieux. Les parents pouvaient s'intéresser à d'autres de tes travaux ou bien encore aux travaux d'autres artistes travaillant à tes côtés. L'idée était bonne, même mignonne. Tu avais hésité avant d'accepter l'invitation, non pas par timidité (enfin un peu) mais surtout à cause de cette impression étrange que tu avais depuis trop longtemps maintenant. Tu espérais t'en défaire ici mais tu ne te sentais pas tranquille, le regard fuyant parfois sur les côtés ou des silhouettes que tu fixais un peu trop longuement.

Comme celle de la jeune femme face à toi, que tu observais depuis trop longtemps sans doute. Tu clignas des paupières, les lèvres faiblement pressées l'une contre l'autre alors que tu te courbais poliment. Tu tentas alors d'éviter son regard, les pupilles voyageant à gauche puis à droite dans un air gêné. Tu te souvenais d'elle, tu aimais te rappeler des visages que tu croisais, et t'étais un peu embêté de la revoir ici. Enfin ce n'était pas à toi d'être le plus gêné des deux normalement. Non ? Non. T'étais sûr que non. Quoi que... Tu restais incertain, le regard retournant vers elle pour l'observer à nouveau. « Vous... », commenças-tu avant de passer une main sur ta nuque. Etait-ce une bonne chose qu'elle soit ici, avec des enfants autour ? « Bonjour », finis-tu simplement, te courbant à nouveau, les joues rougies.

Dans son contrat, Seohee est chargée de récupérer les enfants à l’école et de les garder à la maison en attendant le retour de leurs parents. Il n’est donc pas question de participer à des évènements comme les anniversaires. Ce n’est pas pour lui déplaire. Entre aider des enfants à faire leurs devoirs et devoir surveiller toute une dizaine de gamins, si ce n’est plus, le choix de la demoiselle était facile à prendre. Mais, quand son employeur lui a proposé un bon salaire, la jeune femme s’est souvenue de la nouvelle collection Chanel. “ Tu ne veux pas y retourner ? “ Il la regarde avec des yeux de merlan frit et agite sa tête pour dire non. Elle ne pourra pas décliner sa proposition jusqu’au bout. Si l’enfant ne veut plus profiter des structures gonflables, il est temps de céder à son caprice afin de se préserver d’une migraine. Elle lui offre un sourire. “ Bon d’accord. On va voir le monsieur des livres. “ Pourquoi cet autre enfant lui a parlé de son livre dédicacé ? Pourquoi a-t-il révélé l’identité de cet homme ? Le pire, c’est que la demoiselle avait déjà fait plusieurs lectures en utilisant ses ouvrages. Si elle avait su, elle n’aurait pas contribué à cette fraude. Sa réputation est d’après les parents, excellente mais personne ne l’a vu en plein milieu de la nuit, une tenue plus décontractée pour apercevoir un nouveau genre de dessins.

Elle se penche pour corriger sa tenue et lui tend un verre de jus de fruit. Elle en prend également un pour se désaltérer sans pour autant faire fuir cette étrange sensation. Un regard pèse sur elle. Ce n’est pas la première fois que certains regards curieux se concentrent sur sa silhouette. Seohee est une belle femme mais, ce qui la dérange, c’est son origine. C’est que dans cette file d’attente ridicule, le prestataire l’a sûrement repéré. L’étudiante en droit adore le cinéma mais même dans les films, elle n’a jamais vu une telle couverture. Être un dealer et en plus faire des dessins enfantins ? Se sert-il de ses livres pour dissimuler et livrer des substances illicites sans que personne s’en rende compte ? Cette pensée lui glace le sang et la pousse malgré tout à regarder dans sa direction. Glissant une de ses mains libres sur l’épaule de l’enfant, Seohee se découvre presque un instinct maternel pour un enfant qui n’est pas le sien. Un mal-être évident l’envahit et agite son pauvre estomac quand il est l’heure des salutations. “ C’est à nous, noona ! Trop bien ! “ Il sautille presque sur place alors que l’heure du décès pourrait être prononcé à son égard. Elle croise officiellement son regard et son vous lui fait comprendre qu’il ne l’a pas oublié. Gardant le silence, elle observe sa tenue pour tenter d’apercevoir les tatouages de la dernière fois. Mais aujourd’hui, il était propre sur lui, avait finalement une belle apparence qui devait faire son petit effet. Elle aurait pu le trouver mignon, dans une autre vie mais maintenant qu’elle ne peut pas s’empêcher d’être apeurée quand il la salue. Un commencement avant de la menacer ? Elle s’élance dans une courbette à son tour. “ Bonjour. “ Puis, elle resserre légèrement son emprise sur l’épaule de l’enfant. “ Allez Dongmin, ne fais pas le timide. Monsieur ne va pas te manger. “ Qui sait ? “ Il aime beaucoup vos livres, comme beaucoup d’enfants. Tu ne veux pas lui dire ton histoire préférée ? Tu sais, celle avec le loup... “ Elle ignore bien entendu le tatouage sur la cuisse du garçon. Mais le hasard fait certainement mal les choses...  

La foule, les grands rassemblements... c'était pas vraiment ton truc. Voire pas du tout. Ca te stressait d'être là, un peu trop entouré. Tu savais plus où regarder, qui regarder. Tu savais plus comment te mettre, ni comment faire attention. Tu sentais des regards sur ton dos mais ils n'étaient pas terrifiants comme d'habitude – juste stressants. T'avais peur de te ridiculiser en faisant n'importe quoi alors tu évitais de trop bouger, ou de trop parler. Tu tentais de sourire le plus naturellement possible, tentant de calmer les battements affolés de ton palpitant à chaque fois que tu croisais le regard d'un adulte. Les enfants ne t'effrayaient – même s'ils étaient des êtres imprévisibles, tu préférais leur compagnie, presque. Parce qu'au moins tu savais qu'ils ne pouvaient pas te faire de mal. Pas volontairement, du moins, et pas de la même façon qu'un adulte pourrait le faire. Tu ne savais pas si tu devais te méfier des autres ou si tu pouvais baisser ta garde. Tu te retrouvais apaisé quand tu parlais à un enfant pour angoisser la seconde d'après, le regard dans celui de son père ou de sa mère. Heureusement, personne ne semblait avoir conscience de tes pensées. Personne ne semblait voir la panique dans tes pupilles par moments, non plus. Si c'était le cas, personne ne t'avait questionné sur le sujet et tu préférais garder les choses ainsi. Ce qui te perturbait, aussi, était de voir cette jeune femme. De la voir accompagner un enfant. De la voir aux côtés d'un enfant. Tu te rappelais l'avoir croisé, tu te rappelais ce qu'elle avait dit et... Une sueur froide et tu retins ton souffle. Tu ne devais alarmé personne, et rester calme. Peut-être était-ce un malentendu. Ca arrivait après tout, les malentendus.

Pourtant t'arrivais pas à te défaire de toutes ces idées sordides qui te passaient en tête. Tu savais pas comment réagir ni quoi faire, encore moins quoi dire. Son regard sur toi te troublait. T'avais presque l'impression d'être redevenu un môme qu'on scrutait pour savoir s'il mentait ou non. Le pire ? Ca pourrait presque marcher avec toi. Tu dévias enfin tes pupilles de la jeune femme pour te concentrer sur l'enfant. Le sourire plus doux et tranquille sur les lèvres, tu le saluas doucement avant que ton attention ne retourne sur elle. « Oh ce ne sont pas mes livres », marmonnas-tu, quelque peu gêné. « Je m'occupe surtout des illustrations mais... je pourrais passer un mot à l'auteur ? », proposas-tu, incertain, déglutissant. « Mais ça me fait plaisir si tu aimes mes dessins », t'adressas-tu à l'enfant. « J'aime beaucoup l'histoire avec le loup aussi », tu pouvais préciser que t'en avais un sur la cuisse, ça passerait mal. Tu vins attraper ton stylo, ouvrant délicatement le livre pour y poser ta signature, rendant l'objet au garçon. Tes prunelles retombèrent sur la jeune femme, et tu mimas un air incertain. Tu pouvais pas lui demander si elle se droguait, comme ça, d'un coup. Ou si elle était liée à une histoire du genre. Ca se faisait pas. « C'est votre fils ? », que tu la questionnas à la place, te raclant la gorge alors que le silence retombait sur tes lèvres. « Vous avez l'air en forme.. je veux dire vous avez bonne mine », articulas-tu, les syllabes de plus en plus muettes alors que tu sentais la honte chauffer ton visage. Par rapport à la dernière fois que tu l'avais croisée, elle semblait en meilleure forme et tu te disais que c'était bien de le souligner. Non ? « Je ne pensais pas vous voir ici... avec des enfants... », susurras-tu, jetant un regard vers le petit, un sourire se dessinant à nouveau sur tes lèvres. Pauvre enfant.

Des souvenirs d’une rencontre étrange remontent à la surface. Elle doit garder la face pour ne pas affoler l’enfant ou alerter l’inconnu. Si le jeune homme est inquiet d’avoir été découvert, il pourrait tout à fait se venger en retenant l’identité de l’enfant voire même la sienne. Peut-être qu’elle a regardé trop de séries policières mais on ne sait jamais à qui on s’adresse réellement. Pourtant, sa méfiance n’a peut-être pas lieu d’être. Aujourd’hui, l’illustrateur est propre sur lui, plutôt charmant pour être honnête. Mais l’habit ne fait pas le moine comme le tatouage ne fait pas le mal ? Elle devrait avoir honte d’avoir de telles pensées. Continuant de le scruter, l’enfant attire ensuite l’attention. Confusion entre auteur et illustrateur, il faut comprendre que la nuance n’est pas évidente quand seul un livre est proposé au public. Jetant un coup d'œil vers l’ouvrage, Seohee essaye de se rappeler du contenu. Elle lit tellement de livres pour enfants qu’elle pourrait les mélanger. Au fond, les histoires ressemblent sans chercher à dénigrer les auteurs. Disons qu’en tant qu’adulte, il y a des jours où sa mémoire connaît des faiblesses sauf quand il est question de croiser un dealer en plein milieu de la nuit. Enfin, c’est cette même personne qui attire sa curiosité aujourd’hui. La nounou est la première étonnée. Une question lui brûle les lèvres quand Dongmin évoque ses passages préférés et son sourire s’agrandit une fois que l’objet est rendu. Il sautille de joie avant de narguer ses copains un peu plus loin. Se retrouvant seule et gênée, l’individu choisit ce moment pour lui faire la conversation. “ Non. Je suis simplement sa nounou. “ Pourquoi cherche-t-il à connaître sa situation familiale ? Devrait-elle éviter de dire qu’elle vit seule ? Hum, Seohee exagère. “ Un job étudiant. “ Mais la subtilité lui manque quand il la complimente. Son regard croise de nouveau le sien et elle contourne le sujet. “ Pour un anniversaire ? Je vous le concède. Il se tient à peu près à carreau et je n’ai pas besoin de courir partout. “ Elle s’offre même le plaisir d’une conversation avec lui mais elle tilte un peu. Comment ça ? Pourquoi elle ne pourrait pas être avec des enfants ? “ Je ne pensais pas vous recroiser un jour. Je suis tout aussi étonnée que vous. “ Mais pas autant que la dernière fois ? “ D’autant plus que vous dessinez. Depuis combien de temps vous faites ce métier ? “ Drôle de couverture quand même… Ça la laisse perplexe. “ Ça ne doit pas être simple de faire des illustrations pour d’autres personnes, de faire un rendu propre à leurs idées. “ C’était ça sa question brûlante… Mais finalement, elle ajoute quelque chose : “ Vos proches comprennent votre choix ? Vous n’avez pas choisi des métiers très cohérents. “ chuchote- t-elle.

« Sa nounou... », que tu susurras doucement dans un mouvement léger du visage, les pupilles la contemplant un instant avant de scruter le vide. Confiait-on réellement des enfants à n'importe qui ? Les parents ne faisaient pas attention ? Elle paraissait plus reposée aujourd'hui et tu pourrais probablement passer la rencontre de ce jour-là sous la fatigue. Mais ça ne faisait pas tout, pas vrai ? T'étais sûr que non. Peut-être que tu te méfiais trop. Ou peut-être pas assez. T'avais assez de films pour savoir que les nounous n'étaient pas aussi innocentes qu'elles semblaient l'être – et sans doute qu'elle faisait partie de ce groupe précis de nounous. Une arnaqueuse ? Ou juste une personne en manque ? Peut-être les deux. Ou peut-être rien du tout finalement. Tu savais plus trop – tu semblais surtout inquiet pour l'enfant dont elle s'occupait. Pauvre gosse. « Je vois », dis-tu simplement dans un autre mouvement du visage. Donc elle étudiait. Tu comprenais mieux la fatigue, moins l'image de la voir courir après les dealer. Enfin... les études demandaient beaucoup, tu le savais. Mais de là à tomber dans la drogue... c'était tout de même dommage de briser sa vie ainsi. Mais tu pouvais pas lui faire la morale – déjà, parce que c'était pas ton genre, t'oserais pas mais aussi parce que c'était pas ta place de le faire. Tu lui lanças un autre regard, les lèvres faiblement pincées. Tu bougeas lentement la tête de haut en bas. « Il n'est pas sage d'habitude ? », osas-tu demander avant de pencher quelque peu le visage. Tu plissas un peu le nez. L'étonnement était donc partagé. « C'est un peu... étrange ? Gênant ? », tu savais pas quel mot utiliser. Les deux. Sans doute les deux. Tu savais pas vraiment ce qu'elle voulait dire par là mais tu savais très bien que tu donnais pas l'allure d'un illustrateur. Tu savais pas ce que tu devais faire pour donner cette allure-là. Devrais-tu t'habiller autrement ? « Depuis quelques années maintenant. J'ai eu la chance de trouver une place à la fin de mes études », tu souris quelque peu, enchanté à l'idée de parler de ton idée. Mais un regard vers elle et tu la revoyais marcher seule, clairement épuisée et... tu te souciais à nouveau pour l'enfant. Tu te pinças encore une fois les lèvres. Les sourcils levés tu l'observais dans une mine perplexe. « Ce n'est pas toujours évident, mais c'est pour ça qu'on discute quelques fois avec les auteurs. Pour avoir leur ressenti direct sur tel ou tel personnage ou sur l'histoire de manière générale. Parfois certains auteurs voudront une couleur précise ou bien un sentiment particulier », expliquas-tu doucement, le coin des lèvres quelque peu levé dans une frimousse détendue. Tu aimais parler de ton métier, tu aimais ce que tu faisais. Tu aimais dessiner, inventer, imaginer. T'étais resté un gamin, dans le fond.

Mais ce n'était pas le sujet principal, tes pensées restant bloqués sur ses mots précédents. Pourquoi parlait-elle de plusieurs métiers ? T'en avais qu'un – ou alors on t'avait pas prévenu. « Ma famille m'a toujours soutenue pour mes choix », c'était peut-être pas la bonne formulation. « Pourquoi est-ce que vous parlez de plusieurs métiers ? », lui demandas-tu, confus. « Votre famille l'a bien pris pour vous ? », que tu l'interrogeas encore, les prunelles déviant vers elle. « Je veux dire... c'est plutôt... », tu plissas un peu le nez. « Je comprends que les études doivent être compliquées, c'est très épuisant mais... », de là à aller courir après la drogue ?? « Vous vous en sortez ? », tu t'inquiétais toujours pour l'enfant qu'elle gardait. Devais-tu le signaler à quelqu'un ? Lui dire que tu avais compris, que tu étais au courant ? Et quoi ensuite, lui donner un numéro ? Tu savais vraiment pas quoi faire dans ce genre de situations, on t'avait pas appris à gérer ça à l'école.

Un accessoire manque à cette scène. Ce jeu de regard, loin du flirt, proche de la criminalité, aurait pu prendre une tournure dramatique si un colt était accroché à leur ceinture. Ils ne pourront pas alors proposer une scène inédite d’un western bien moderne. On se demande qui sera le premier à montrer une faiblesse à son adversaire direct. A défaut de l’avoir encore trouvé, les deux échangent, déterminés à percer le secret au grand jour… C’est bien la première fois qu’elle tombe sur un homme qui la détaille ainsi. C’est bien la première fois aussi que son maquillage hors de prix ne dissimule pas correctement les poches sous ses yeux. Il faut dire que Seohee a dû courir dans tous les sens pour décrocher un poste et s’intégrer de nouveau dans cette ville, qu’elle avait quitté quelques années plus tôt. Elle n’aurait jamais pensé revenir à Gwangju, ni recroiser ce garçon dans de telles circonstances. Néanmoins, la belle finit par esquisser un sourire à son interrogation. “ C’est un enfant. Il doit découvrir des choses. On est tous passé par-là et la sagesse n’a jamais été de notre côté dans ces moments-là. “ C’est naturel de vouloir s’amuser mais il est vrai qu’elle ne pouvait pas non plus se permettre de le regarder se la couler douce. Dans tous les cas, Seohee apprécie l’enfant qu’elle trouve plutôt mature pour son âge. Toujours plus que son aînée qui juge sans savoir. “ Vous avez été chanceux de trouver un poste à la fin de vos études. J’espère que je serais capable de suivre votre exemple. “ Pour le travail officiel, pas l’officieux. Pour poursuivre la conversation, Seohee continue de parler de son métier d’illustrateur. Elle aurait pu mettre les pieds dans le plat mais elle ne voulait pas ruiner l’évènement. Et puis, une part d’elle ne peut pas s’empêcher d’être curieuse sur ses méthodes. Seohee n’a jamais été très douée de ses mains et elle admire toutes les personnes dotées de créativité et de patience…

Elle arque un sourcil, de nouveau étonnée. Sa famille le soutient ? Qu’est-ce qui se passe ? Il parle de sa grande famille ou donne-t-il un pourcentage à ses proches ? Il est clair qu’il faut de tout pour faire un monde. Seohee n’était pas non plus parfaitement clean. Quand elle était encore étudiante à Séoul, il lui arrivait de prendre quelques stimulants pour réussir son apprentissage. “ Je respecte votre intimité mais ça reste à des années lumières de vos dessins… De faire ce travail de nuit. “ Respecte-t-elle vraiment son intimité ? Elle fait attention à ne pas employer le mot de vive voix mais l’image reste peu flatteuse. Toutefois, Seohee n’est pas prête à la chute qui l’attend, quelques secondes plus tard. “ Mes parents n’étaient pas très confiants au départ car ils voulaient m’aider financièrement… Mais, j’avais envie de gérer mes frais toute seule. “ Surtout si c’est pour acheter le contenu proposé par les services de ce charmant garçon, pas vrai ? “ Je ne comprends pas le point que vous essayez de soulever là ? “ La confusion se lit sur son visage. “ Ce n’est pas évident de concilier les deux mais je m’en sors bien jusqu’à présent. “ Les études et son job de nounou… Pas autre chose. La pauvre est quand même légèrement vexée de se faire juger par un type de son genre… Pourtant, il est talentueux, il n’a pas besoin de ça… Mais l’argent appelle l’argent, peut-être ?

Perplexe. Confus. Inquiet. Des tas d'émotions qui dansaient dans tes pupilles, allant jusqu'à venir se faufiler jusqu'à ton palpitant. Elle devait s'occuper d'un enfant mais n'était-ce pas dangereux ? Peut-être étais-tu trop effrayé. Mais la vision te faisait quelque peu pâlir alors que tu craignais pour la sécurité de l'enfant – mais aussi celle de la jeune femme, finalement. Tu voudrais pouvoir demander à quelqu'un ou prévenir quelqu'un. Mais qui ? Et pourquoi ? T'avais pas ton mot à dire finalement, encore moins ton nez à fourrer dans des affaires qui n'étaient pas les tiennes. Tu te faisais juste du souci, tout simplement. Pour elle, l'enfant, tout le monde. Pour toi aussi, en soit. Mais ça, c'était uniquement parce que cette ombre te voulait du mal, parfois. Même si pour le moment elle ne t'avait rien fait directement, tu redoutais le jour où cela arriverait. Que pourras-tu faire ? Rien. Et tu n'en parlais à personne de peur qu'on ne puisse te croire. Tu ne voulais pas être jugé pour cette impression dérangeante. Pourtant, tu te retrouvais à faire la même chose, et juger sans savoir. « Je suppose oui », dis-tu dans un mouvement d'épaules, le sourire discret. Certains enfants étaient plus sages que les adultes, cela dit. Du moins tu en avais entendus quelques uns qui feraient une belle concurrence. Leur vision des choses était la plupart du temps meilleure que la vôtre. Plus objective, plus sage. A se demander de quel côté la sagesse était réellement. « J'ai eu beaucoup de chance oui », affirmas-tu timidement. « Je suis sûr que vous trouverez aussi. Vous recherchez dans un domaine particulier ? », pas que tu puisses aider mais... tu pouvais tenter. Peut-être. Tout dépendait dans quoi elle décidait de s'embarquer finalement – parce que si c'était quelque chose de pas très légal, tu pouvais pas faire grand chose. Même si tu voulais aider.

Tu l'observas, silencieux, penaud. A des années lumières de tes dessines ? De quoi parlait-elle ? Quel travail de nuit ? « Je ne travaille pour une agence uniquement. Et je ne fais pas ça souvent », tu désignas l'espace autour de toi. Venir comme ça à la rencontre d'enfants ou même de parents. « C'est rarement la nuit, surtout le jour... même s'il m'arrive de me pencher sur quelques travaux la nuit oui effectivement », mais t'irais pas dire que c'était un travail de nuit. Pas vraiment. T'étais bizarrement pas sûr de savoir si tu parlais de la même chose qu'elle mais t'osais pas vraiment demander, de peur de passer pour un abruti fini. « C'est admirable », de vouloir tout gérer toute seule. Tu te pinças quelque peu les lèvres ensuite, mimant un petit air soucieux. « Juste que ce doit être difficile de gérer le tout. Mais si vous vous en sortez bien jusqu'à présent c'est déjà une bonne chose », enfin bonne chose... tu disais ça vite fait. « Ce n'est pas quelque chose que l'on peut arrêter comme ça j'imagine », et les études demandaient beaucoup. « Est-ce que vous pratiquez un sport ? », tu devais sembler curieux mais ça te paraissait important de faire du sport aussi. De ne pas se laisser entraîner par les effets des cachets. « C'est une bonne façon de récupérer aussi, apparemment. Et cela permet de se donner de l'énergie autrement », c'était mieux qu'avec des cachets. « Le yoga ou le pilates aident beaucoup aussi j'ai entendu dire. Méditer peut beaucoup aider, aussi », et voilà que tu lui conseillais tout ce que tu avais lu ou entendu. « Je ne conseille pas vraiment les boissons énergisantes mais si ça peut dépanner un peu », tu te mordis la lèvre, les sourcils quelque peu froncés. « Est-ce que... enfin vos employeurs sont au courant ? », si oui, c'était vraiment horrible pour l'enfant. Si non... si non, c'était vraiment compliqué.

Ne pas juger selon les apparences est l’une des premières règles à inculquer en termes d’éducation. Seohee n’a rien contre les personnes qui laissent des traces indélébiles sur leurs corps, chacun est libre de faire ce qu’il veut de ce dernier. Pour autant, son esprit est toujours matrixé par des amalgames qui ne devraient plus exister à cette époque. Comme quoi, Rome ne s’est pas construite en un jour tandis que le jeu est faussé entre les deux protagonistes. Ces deux-là ont un point de vue complètement faussé depuis leur précédente rencontre et leurs premières impressions. Il risque de s’étouffer à l’entente des objectifs professionnels de la plus jeune. “ J’aimerais devenir juriste. J’ai un stage dans un cabinet actuellement mais je n’ai pas encore pu porter mon choix sur une spécialité. “ Elle ne devrait pas trop tarder. Si elle aime le droit dans sa généralité, toutes les matières ne se ressemblent pas. Le public, le privé, l’international… Elle avait tranché pour le privé rapidement sans pour autant connaître la suite de l’aventure.  Elle espère garder le cap sur ses notes et garder un niveau d’excellence pour l’apprentissage. Seohee a, après tout, quitté une grande université de Séoul pour retourner sur ses terres natales. Elle ne voudrait pas être pénalisée pour ce choix. Toutefois, elle doit souligner un point : elle a beau traduire le vocabulaire juridique, elle ne parvient pas à définir dans quelle langue son interlocuteur lui adresse la parole… Un drame parmi des énièmes sous-entendus. “ Je cours de temps en temps mais j’ai tendance à plus regarder le sport qu’à le pratiquer. J’ai dû relire les tomes du manga Haikyuu au moins une vingtaine de fois ! “ Est-ce que lire un manga signifie regarder du sport ? Pour sa défense, elle connaît au moins les positions des joueurs de volley-ball. “ Et vous ? “ Il doit forcément être doué pour la course, histoire de fuir les policiers. “ Vous avez l’air sacrément de vous y connaître… “ En astuce pour décompresser, pas pour autre chose. “ Oui ? Je dois bien gérer mon emploi du temps. Je ne peux pas être en cours et garder leur enfant ? Toutes vos questions sont étranges. Vous essayez de connaître toute ma vie pour me faire du chantage ? “ Elle le fixe du regard. “ Je vous trouve sacrément téméraire pour un homme qui a beaucoup de choses à cacher. “ Elle précise. “ De vous présenter à un anniversaire alors qu’on sait tous les deux que vous n’utilisez pas exactement la farine présente dans ces gâteaux préparés pour l’occasion… “ Un peu directe ? Peut-être mais pas question de se démonter ou de se faire victimiser par un bandit.

« Juriste ? », et ça semblait te perturber. Te choquer. Alors elle devait savoir que ce n'était pas bien ce qu'elle faisait pas vrai ? Cela dit ça devait être – normal alors de se laisser porter par quelque chose. Non ? Peut-être pas. T'en perdais le sens de mots et la logique elle-même alors que tu la scrutais, timide mais aussi inquiet. « Il y a beaucoup de spécialités ? Ca me rend un peu curieux, je ne connais pas grand chose sur le sujet », admis-tu doucement, les pommettes un brin empourprées alors que tu tentais de lui offrir un sourire. Il devait y avoir tellement de choses qu'elle allait probablement te perdre en t'expliquant pas vrai ? Mais ça t'intriguait. Tu voudrais savoir ce qu'elle préférait, aussi. Il n'y avait pas quelque chose en rapport avec les enfants ? Ou peut-être confondais-tu ; ce n'était pas impossible non plus, finalement. Chaque domaine avait tellement de branches qu'il était facile de s'y perdre. T'espérais pour elle qu'elle puisse retrouver son chemin – au sens propre comme au sens figuré, l'inquiétude restant toujours présente, serrant un peu ton estomac. « Oh je connais », soufflas-tu, presque trop content. « C'est plus facile à regarder, beaucoup plus dur à pratiquer », surtout qu'il fallait garder un niveau constant et tu t'imaginais mal courir quotidiennement. Ca semblait rude. Mais peut-être que ce serait mieux pour elle... non ? Au final t'étais pas médecin, t'en savais rien. Tu savais plus rien, en fait. Plus la conversation avançait et plus tu te perdais. « Moi ? », t'avais l'air de courir tous les dimanches ?? « Je ne suis pas... Pas vraiment sportif », admis-tu doucement, gêné. « Mais je me balade avec mon chien », ça devait compter comme activité physique. Non ? « Ah bon ? », tu levas les sourcils, surpris. Et tu gardais ton air perplexe à la suite de ses mots. « Du chantage ? Pourquoi est-ce que je ferais du chantage ? », t'oserais même pas y penser, t'aurais trop peur que ça te retombe dessus. Tu l'observais toujours, déglutissant quelque peu, l'air perdu mais aussi un brin inquiet. « Je n'ai rien à cacher... », chuchotas-tu en secouant la tête. Et tu la fixas encore, confus, détournant les prunelles un instant.  « Vous parlez de la farine que vous allez acheter tard le soir ? », osas-tu, tout de même un peu apeuré. « Vous vous occupez d'enfants en plus... », que tu marmonnais, soucieux. « Et vous êtes si jeune », tu secouas un peu la tête, la respiration brusque aux lèvres. C'était tellement dommage. « Mais qu'est-ce que vous savez sur moi exactement ? », vins-tu l'interroger, incertain, les doigts s'agitant nerveusement entre eux. C'était elle qui te suivait ?? Tu pris une inspiration, le cœur tambourinant. « Est-ce que vous... », tu déglutis, te mordant la lèvre ensuite. « Vous me suivez ? », et le dire ainsi était tellement étrange que les mots te paraissaient inconnus. Tu n'avais jamais articulé ce genre de paroles, et le dire là, comme ça, t'effrayait. « Parce que c'est pas... enfin c'est pas gentil. Ca se fait pas et j'ai pas grand chose à vous donner. Si vous parlez de la farine pas farine des gâteaux je ne saurais pas quoi vous proposer à part des aspirines », que tu te mis à articuler rapidement, à voix basse. « Mais vous devriez faire attention. Et les enfants... », tu voudrais aider mais tu savais pas comment. Surtout qu'elle t'accusait de faire pareil. Pourquoi d'ailleurs ?

Avec sa superbe, c’est étonnant qu’elle puisse en avoir dans la cervelle ? Elle lui offre un sourire, le plus sincère jusqu’à présent. Sa curiosité quant à sa filière la touche quelque part. Elle est contente de pouvoir parler de ses études et satisfaire la curiosité de chacun. “ Oui. Si on y prête plus attention, on retrouve le droit un peu partout, dans toutes les affaires qui régissent notre vie quotidienne. Entre le droit international, public et privé, pour nommer les catégories les plus larges. “ Seohee est ce que l’on pourrait appeler une privatiste. Pour autant, il ne faut pas séparer définitivement ces domaines. L’un impacte forcément l’autre et c’est ce qui rend le tout encore plus intéressant. Néanmoins, elle manque de pertinence pour répondre à la question de l’illustrateur. Connaît-il Haikyuu ou partage t-il la même vision qu’elle, vis-à-vis du sport ? Si c’est bien la première, la jeune femme pourrait en discuter pendant des heures. Toutefois, Seohee doit faire attention à conserver son sérieux, surtout avec un homme potentiellement dangereux dans les parages. Étonnée de savoir que le jeune homme était peu sportif, il faut dire que pour sa défense, il a fière allure. Mais là n’est pas le sujet, surtout que la jeune femme commence à s’interroger réellement sur ses intentions. “ Justement. C’est à vous de me le dire. “ Comment éclaircir la situation si tout le monde décide de parler mystérieusement ? Un scandale va finir par éclater.

…

Et puis, vient le moment de la stupéfaction. “ Quoi ? “ Quelles allégations ? Elle, une consommatrice de farine ? Seohee aura tout entendu aujourd’hui. Elle passe sa main nerveusement sur le front, essayant d’assimiler tous les indices qu’il a pu lui donner. Un soupir plus tard, elle finit par dire : “ Vous avez un instant ? Allons parler dans un endroit plus calme. “ A ce rythme, l’un d’entre eux va subir des menaces. La nounou prend son courage à deux mains et lui fait signe de la suivre plus loin dans le jardin où les oreilles indiscrètes ne seront pas présentes. “ Je ne sais pas pourquoi vous pensez ça… Mais je ne suis pas une droguée. “ Ce n’est pas ce que dirait un drogué justement ? Elle hésite et tend ses bras nus. “ Je n’ai aucune piqûre, aucune trace blanche dans mes narines… C’est vous qui vendez de la drogue ? Je vous ai vu ce soir-là, à attendre je ne sais quoi dans le noir, avec vos tatouages… “ Elle s’enfonce clairement… Heureusement qu’elle est censée avoir quelque chose dans la cervelle. Finalement, il ne lui reste que sa superbe. “ Vous ne manquez pas de culot de me faire la morale après ça… “