Nabi l’avait décrété : aujourd’hui serait le pire jour de l’année. Celle-ci ne faisait que commencer, soit, et elle ne l’avait jusqu’alors jamais renié (bien au contraire) mais tout avait un début et une fin, ok ? La fin d’un amour stupide. Le début d’une haine viscérale envers… quoi, très bonne question. Les couples ? La niaiserie vomissante qui déferlait sur elle et suintait de tous leurs pores, transformés en gros chamallow tout mous ? Maybe. Sûrement ? Les cœurs qui s’envolaient de partout dans les vitrines ou sur les écrans, les accroches publicitaires pleines de félicité et tout ce rose… ce foutu rose !!!! Qui était d’ordinaire sa couleur et qu’on associait désormais aux formes énamourées guimauves de deux personnes qui… non. Elle se refusait à aller plus loin et imaginer d’autres couples quand elle se voyait déjà noyée dessous rien qu’en traversant la rue. Enough is enough.

Elle se mettait même à l’anglais, la situation était grave. Et elle l’était vraiment. Parce que voyez-vous, elle était en deuil. Oui madame !! De quoi, elle ne savait pas trop, ce n’était toutefois pas le plus important pour l’instant. Elle était seule. Désespérément seule après des années passées au bras de visages toujours changeants mais peu importait. Elle était aimée. Au moins un peu ? Chérie. Dans sa tête. Et ses draps avaient au moins la chaleur d’une étreinte factice. Le vide qu’elle ressentait aujourd’hui, loin de toute présence… la ramenait inéluctablement en arrière, à ses années lycées où elle n’était que l’ombre d’elle-même. Où on préférait lui cracher au visage que lui adresser le moindre regard. Et à chaque fois qu’elle y revenait. A chaque fois qu’elle se voyait capturée par ses songes cauchemardesques, il y était. La tirant de ces horreurs ou au contraire l’enfonçant dans son mal. Silhouette tant désirée en ce jour et tout autant repoussée aux tréfonds de son âme. Elle ne pouvait vivre de ces chimères là. Elle se refusait de sombrer si bas, sortie vivement de ses pensées en se cognant à un inconnu qu’elle n’avait même pas vu.

En même temps, quoi de plus normal ? Il était même surprenant qu’elle n’ait pas trébuché avec pareil accoutrement. Les talons vertigineux, la robe moulante et le manteau de fourrure… noirs. Parce qu’on lui avait volé sa couleur. Alors elle manifestait. Le deuil, etc. On avait déjà fait le topo. Ce n’était toutefois pas tout. Non, ça aurait été trop beau. Mais Nabi était un peu détraquée alors… comme en personnalité publique, elle refusait de s’afficher seule en ce jour, elle avait sorti la totale, histoire de ne pas être reconnue. Raison pour laquelle elle avait vissé sur son crâne un énorme chapeau à large bord comme si l’été était déjà là, tout aussi sombre et mangeant la moitié de son minois, assorti de lunettes de soleil lui faisant d’immenses yeux de mouches et lui camouflant dans la pénombre de ce début de soirée… tout. Absolument tout. Aussi lorsqu’il lui demande si elle voit bien ce qu’il voit… hausse-t-elle un sourcil dubitatif, s’autorisant finalement à baisser ses verres sur son nez et plisser les yeux pour tenter d'apercevoir ce dont il parlait avec suspicion. « Un truc dans l’eau ? Genre… O.M.G. » La mâchoire se décrochant au même titre que ses prunelles s’arrondissaient au mot personne, d’un coup un peu trop réveillée, l’adrénaline infusant ses veines d’un trop plein d’émotions… et d’excitation ?? Non Nabi, ce n’était pas correct. Il était peut-être mort et… ce n’était pas un film d’horreur !! Real life, do you understand ??

« Tu crois qu’il se noie ??? Ou qu’il est mort ??? Ou les deux… non, c’est pas trop possible. Et s’il était en passe de l’être ? Yah, reste pas là les bras ballants monsieur muscles !!! » Ok, elle n’avait pas vérifié qu’il en avait et de toute façon, sa vision était fortement restreinte du peu que ses lunettes étaient abaissées mais qu’importe ? Dans ce genre de scénario noir où un homme et une femme découvraient un cadavre… l’homme était toujours bien bâtit. Histoire de rattraper la demoiselle si elle s’évanouissait, sans doute. Ce n’était malheureusement clairement pas son cas, plaquant vivement ses mains contre son dos pour le pousser en direction de la masse flottante sans ménagement, avançant derrière lui, sa tête seule partie de sa silhouette dépassant (parce qu’elle ne manquerait décemment rien du spectacle). « Prends un bâton et tâte le, s’il est dur c’est foutu. » Mais un être humain, c’était jamais mou, Nabi... « Ou alors faut le sortir de l’eau ?? Sa tête est de quel côté ? » Est-ce qu’il faisait glouglou où il faisait un remake de l’amour sous les étoiles ? Ça aussi, c’était important. « Si on le touche, tu crois qu’on va avoir nos empreintes dessus ? Qu’on va être pris pour les coupables et emmenés au poste ?? J’ai pas d’avocat, j’en ai jamais eu et… faut appeler les flics ? Ou une ambulance ? Les deux ?? » Et si tu vérifiais d’abord ce que c’était, triple nouille.

La situation était clairement irréelle et, dans cette panique des plus totale, Nabi ne faisait décemment rien pour arranger l’affaire. Au contraire, son esprit - clairement détraqué - était engrené à mille à l’heure, sortant des théories à la minute plus farfelues les unes que les autres, son immense bibliothèque de films et livres d’horreurs et thrillers lui soufflant quantité d’inepties. Sans doute s’était-elle beaucoup trop intéressée et documentée sur les phénomènes étranges pour relativiser et s’ancrer dans la réalité, les lunettes toujours à moitié vissées sur le nez comme une grand-mère alors que ses yeux étaient plissés pour tenter de distinguer quelque chose dans la pénombre. Il fallait faire quelque chose ! Et comme elle avait un homme sous la main, c’était à lui de s’en charger tandis qu’elle donnait les directives. Logique, non ? S’il voulait, elle se chargerait même d’énoncer l’heure du décès une fois la carte d’identité retrouvée, si tant est qu’il vienne juste de mourir… et si le cadavre avait plusieurs jours ? Et s’il était tout bleu et gonflé ? Mais Nabi, peut-être aussi qu’il n’était pas mort… mettant fin aux jérémiades de son partenaire Watson fort peu coopératif pour le pousser et lui intimer de prendre un bâton. Elle n’était franchement pas aidée !!

« Est-ce que j’ai l’air de dire des trucs cons ?! » Vu l’accoutrement… mais ça, elle ne s’en doutait pas, sourcils froncés et bras croisés en princesse de pacotille, son talon ripant en essayant de taper du pied et se raccrochant à lui, gorge maladroitement raclée. « Si tu ne vois pas rapproche toi ! Tu veux avoir un mort sur la conscience ?! Moi pas. » Première pensée lucide de la tornade, le scénario pouvant tourner en non-assistance à personne en danger. Mais ils y allaient là, ok ? Qu’on leur donne deux minutes histoire d’accorder leurs violons ! Il pouvait bien glouglouter encore un peu, non ? Combien de temps un humain tenait sous l’eau, déjà ? Très bonne question. Mieux valait ne pas y songer. « Brav… » Les applaudissements qui se meurent à peine entamés, le sourire s’affaissant avant qu’un regard meurtrier ne vienne briller dans la pénombre étouffante. « Yah, c’est pas le moment de rigoler !!! » Indeed. 10 points pour Gryffondor !

Attention reportée sur le corps qu’il s’en va toucher avant de faire un bon et se mettre à hurler. « Mou ? Bizarre ? Genre… plus mou qu’un humain ? » Pourtant les corps ça devenait pas dur à la noyade ? Sursautant en le regardant flipper encore plus et finir les fesses dans l’herbe, soupirant comme déçue de son assistant avant d’arguer. « C’est positif s’il te regarde, non ??? C’est qu’il boit pas la tasse ! Vous nous entendez monsieur ? Madame ? » Se rapprochant incertaine, ses pieds glissant sur la pelouse avec les échasses qu’elle portait. Elle n'avait pas signé pour un bain. « Son regard bouge au moins…? » Ou il était mort ? Un frisson glacé la parcourant tandis qu’il se redressait, le bruit qui se dégageait de la chose à chaque fois qu’il la touchait vraiment étrange. « Comment ça, pas humain. C’est quoi alors ? Un clone ?... UN ALIEN ??? » Jurant tout haut avant de lui pincer le bras à défaut du sien pour vérifier que c’était bien réel, complètement atomisée par la tournure des événements. « Oh my god. » Puis, comme certaine qu’il s’agissait là de la découverte du siècle : « il faut que tu le ramènes sur la berge. » Parce que oui, elle voulait être la première femme à voir une forme de vie alien. Un peu comme le premier à marcher sur la lune. Et puis, peut-être qu’ils pourraient communiquer ?? « Tu crois qu’ils parlent coréen ? » Du genre à s’emballer d’un rien ? Totalement.

Elle n’était vraiment pas aidée. Non seulement la jeune femme avait pour mauvaise habitude de partir loin d’un rien, mais en plus son partenaire d’infortune ne semblait nullement vouloir contenir ses ardeurs, lui soufflant à demi mot des théories encore plus cosmiques. Juste mou. Comment ça il était juste mou ??? Pas comme de la graisse ? Tout en elle s’affolant rien qu’à prononcer cet horrible mot, elle qui était passé par tous les calvaires pour s’en débarrasser et enfin vivre sans le mauvais traitement des autres, un rire jaune et faux raisonnant douloureusement. « Qu’est-ce que ça peut faire que j’attire quelqu’un d’autre, au moins il témoignera que ce n’est pas nous qui l’avons mis dans cet état ! » Parce que oui, tout bon drama policier avait ses témoins et il était hors de question qu’elle finisse derrière les barreaux. Avait-il seulement idée de combien la tenue de prisonnier jurerait avec son teint ?! Elle serait la risée de tous les magazines people et tout ce qu’elle aurait fait pour être aimée n’aurait servi à rien. Un véritable cauchemar, ponctué par un cadavre mollasson au regard fixe et au bruit fort désagréable d'échappée de gaz. A croire qu’elle tournait son propre film horrifique.

« Vivant ou pas, on aura le premier contact. Et puis tu sais pas, peut-être qu’ils ont plusieurs vies, imagine ils fonctionnent comme les phœnix qui renaissent de leurs cendres. » Il ne fallait ici rien négliger, partie dans sa propre théorie de paranormal, sans doute parce que ce serait bien plus fun que de se retrouver face à un réel cadavre. Aussi le regarde-t-elle sans ciller essayer de ramener la chose non identifiée sur le rivage, l’encourageant désormais en murmurant comme s’ils étaient en mission ultra spéciale et que personne ne devait plus les rejoindre. « Oh, tu penses qu’ils sont plus avancés que nous ? Remarque, s’ils arrivent à venir sur notre planète et pas nous, ça se tient. J’espère juste que leur technologie est waterproof. » Sinon bonjour les dégâts !! Elle aurait dû apprendre la langue des signes, elle avait loupé son opportunité. « Tu as réussi !!! » qu’elle murmure extatique en voyant le truc rejoindre le bord, s’approchant à pas feutrés en essayant de ne pas glisser. Ça ne l’empêche pas de sursauter violemment quand Mister Watson se met à crier. « Son regard fait si peur ? » ne peut-elle s’empêcher de demander, complètement décalée, ne comprenant pas pourquoi à chaque fois ça le faisait crier.

Ni pourquoi il se mit soudain à éclater de rire, se demandant si son regard rendait à contrario fou, papillonnant des cils perplexe jusqu’à l’aboutissement de l’investigation. « Quoi ??? » qu’elle surenchérit, oubliant les autres et la gêne. « Une poupée gonflable ?! » N’ayant jamais imaginé pareille possibilité, déchantant lourdement et ses jambes la lâchant à moitié, se rattrapant au bras de son acolyte. « T’es sûr ?? M-mais… » Qu’est-ce qu’elle foutait là ? Qui aurait pu utiliser une poupée… « Tu crois qu’elle a déjà servi ? Genre… là, sur la berge, devant tout le m… » Un haut le cœur la prenant et reculant vivement tout en patinant sur la pelouse mouillée, soudain écœurée. Où était son thriller ?? Ou sa découverte d’une nouvelle forme d’humanité ??? Ce film porno était hautement rebutant, se bouchant le nez comme si l’odeur inexistante pouvait la contaminer avant de reprendre tout en essayant de rester classe et posée. « On en fait quoi ? On peut pas la laisser là, imagine un enfant la voit demain matin… mais si on la prend, on va croire que c’est la notre. » Et c’était tout bonnement hors de question, outre la honte, elle était une personnalité publique !

Étrangement, lorsque son acolyte du jour lui propose de vérifier par elle-même de quoi il s’agissait, elle se met à faire de grands signes de croix, refus certain pourtant comique alors qu’elle patine sur la pelouse et est prise de hauts le cœur. Non, vraiment, c’était loin de la situation qu’elle s’était imaginée et se retrouver chez les flics s’avérait presque enviable face à cette chose ramenée sur le rivage actuellement. Qui pouvait être assez sale pour faire ça ici, sérieusement ? S’il n’avait pu tomber entre des mains innocentes, elle l’aurait clairement laissé là sans état d’âme, refusant d’y jeter un quelconque regard et plus encore de tater cette chose… molle. Ok, non, si elle continuait à y songer, elle allait vraiment avoir un renvoi, son teint devenant verdâtre et son sourire s’effaçant clairement. Comme quoi, la St Valentin pouvait toujours être pire que ce qu’elle était déjà. On n’y réchappait pas.

« Tu penses que ça rentre dans une poubelle ? » qu’elle demande autant sérieuse que songeuse. Sans doute s’ils la dégonflaient mais… elle n’était pas sûre de vouloir chercher comment faire. Pas plus de la traîner jusqu’à une potentielle poubelle, à la vue de tous. Au moins faisait-il de plus en plus noir, espérant ainsi qu’ils n’attireraient pas trop l’attention. « Je crois qu’il y en a une au niveau du pont, à environ deux cents mètres… mais pour ça il faut la sortir de l’eau et potentiellement passer devant cette personne là-bas. » Qui serait sans doute piqué par la curiosité et tenterait de voir quel cadavre ils traînaient la nuit des amoureux. Rien qu’y songer lui donnait des frissons de dégoût et quantité de sueurs froides. Heureusement, Watson semble en trouver une plus proche et sur un chemin où ils ne croiseront aucun passant, le suivant à petits pas, crissant sur les graviers avec ses talons tandis qu’elle rabat de chaque côté de sa tête les grands bords de son chapeau. Incognito elle resterait, quand bien même elle accompagnait quelqu’un qu’on pourrait croire meurtrier ou pervers. Le pauvre quand même. Elle admirait néanmoins son sens du sacrifice, à toucher la poupée sans trop hésiter.

« Sachant que ce n’est pas ma main que tu sers… » Regard jeté en direction du truc. « Mieux vaut ne pas dire enchanté, je suis d’accord. » qu’elle ne peut s’empêcher de lâcher dans un rire semblant impromptu vu la situation. « Dire que je rencontre le soleil en plein milieu de la nuit la plus glauque. » Soupir autant amusé que clairement atterré, lui jetant néanmoins un regard conspirateur. « Moi c’est Nabi, mais je crois que si un jour on se demande comment on se connait, il vaudra mieux éluder. » Donnant un coup dans le truc profondément écoeurée quand celui-ci se coince sur une branche, se dégonflant à trop forcer et leur rendant au final un service considérable en se débloquant. « Je suppose que le problème est réglé ? » La poubelle était en vue, il ne restait plus qu’à l’y jeter. « Drôle de soirée quand même. » Malheureusement, il ne semblait y avoir aucun ovni qui veuille les accoster.